Chapitre 3

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Ma tête bourdonnait.

Je sentis mes yeux commencer à bouger lentement de droite à gauche sous mes paupières. Mon corps entier était lourd et mou,mes sens engourdis. Quelque chose en moi semblait me dire que j'avais mal, et pourtant tout était si étrange que je n'avais pas l'impression d'exister.

Surtout, je me rendis compte que j'avais terriblement faim. Quand donc avais-je mangé pour la dernière fois ? Chacun de mes nerfs semblait me titiller pour me pousser à me jeter sur la première chose comestible que je verrais. Mais avec mes paupières encore définitivement closes, il était évident que je ne voyais rien. Mes yeux me parurent douloureux d'être restés fermés trop longtemps.

Pour être autant étouffer dans mon propre sommeil, j'avais dû rêver ; mais pas le moindre souvenir me semblait vouloir remonter à la surface. Il fallait croire que depuis le rêve, j'étais destinée à ne plus me souvenir d'aucun autre. J'avais l'impression qu'on me martelait l'arrière du crâne. Je sentais tout mon corps comme enveloppé dans un lourd mystère.

Et puis, d'un coup, comme si j'avais jusqu'alors rassemblé mes forces, j'ouvris les yeux.

Mais pupilles dilatées furent frappé tout d'abord par l'intensité des ténèbres. J'étais dans un espace noir et insondable ; les ombres infinies pesaient sur moi et j'avais peur. À nouveau. Il me semblait que ma vie était devenu une succession de noirceur et d'angoisse. Comme si le jour ne servait qu'à faire venir la nuit. Peut-être qu'au fond, il en avait toujours été ainsi, et que c'était juste moi qui n'avait rien remarqué.

Le plafond au-dessus de moi devait être extrêmement élevé, comme celui d'une église ; mais alors celle-ci aurait dû être dépourvue de vitraux ; car une telle noirceur épaisse, qui semble s'être accumulée au fil des ans, ne peut se former dans une pièce à fenêtres. Mes bras étaient tendus à la verticale. De là venait au moins une partie de ma douleur et de mon engourdissement. Je devinai en explorant mes sens — mes seuls alliés au fond de cette abysse, les épais bracelets de métal qui m'enserraient étroitement les poignets.

Je claquais des dents. Le son me parut lointain, presque imperceptible. Mais au moins je pouvais encore bouger certains parties de mon corps, et je n'étais pas devenue sourde non plus. J'écoutais le silence qui m'entourait. Il semblait traversé par un écho sans fin. Il me déchirait les oreilles ; l'air était épais, tendu, et j'imaginais un millier de voix qui y criaient ensemble, dans un vacarme vibrant. J'émis moi aussi un petit cri étouffé, et ma voix sembla se casser à moitié. Je produisis une espèce d'atroce croassement qui me fit me sentir plus isolée encore. J'aurais voulu me presser contre un mur, me replier sur moi-même, presser mes genoux contre mes joues. J'avais l'impression que mes aisselles allaient progressivement se déchirer. Je continuais à crier mais je n'osais pas le faire franchement. C'était autant un cri qu'un chuchotement informe. Des idées de panique se formaient à moitié dans mon esprit encore embrouillé et comateux sans se décider à aboutir.

Je ne devais pas crier. Ce n'était pas permis. Ils allaient me trouver. Mais qui donc ? Et puis, au milieu du brouillard, me vint une question qui me déchira en deux.

Qu'est-ce que j'étais ?

La nausée me vint à la gorge et des larmes me piquèrent les yeux. Je m'imaginais et je me voyais hideuse à faire peur. Une créature à quatre pattes, avec des griffes immenses, des dents si longues qu'elles lui blessaient les lèvres, et des yeux injectés de sang. Une chemise bleue pâle trop grande que j'avais beaucoup aimée quand j'étais un peu plus jeune. Et mon crâne mal rasé. C'était moi. Un monstre affreux. Qui s'agitait sur un cadavre au milieu des bois. Était-ce une hallucination ? Une métaphore ? Je ne comprenais plus rien. Et puis, qu'est-ce que c'était que cet endroit où j'étais ? Était-ce même réel ?

BrisésWhere stories live. Discover now