Chapitre 4

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Laisse-nous.

Cette voix... mais non, ce n'était pas possible. C'était peut-être mon âme brisée quelque part au fond des ténèbres qui parlait et se répercutait entre mes tympans. De toute évidence, j'étais toujours enchaînée. Désormais j'étais complètement couchée dans le vide, les bras et les jambes étendues comme si j'allais me faire écarteler. La situation me laissait au moins supposer que l'espace où je me trouvais avait bien des murs, auxquels des pitons devaient tenir mes chaînes, et un sol au-dessus duquel mon ventre pendait par la force d'attraction naturelle qui n'échappait pas à ce lieu étrange. Secouant mon crâne encore libre de mouvement mais complètement penché en avant, j'ouvris les yeux. La première chose que je vis était le bord de mon sweatshirt qui flottait un peu. De larges et puissants doigts agrippèrent mes tempes au moment où je me rendais compte qu'un mince filet de lumière tombait au dessus de ma tête et me permettait de discerner mon environnement. J'émis un grognement.

– Tu es vraiment immonde.

J'ai évidemment compris ce qu'il voulait dire avant d'y réfléchir. Les petits picots épars qui me faisaient office de chevelure, la bave qui coulait de ma bouche affamée, les cernes qui me pendaient sous les yeux... Ce n'était pas comme si j'avais déjà été belle de toute façon.

Le temps que je m'habitue à l'obscurité, et je vis son visage proche du mien. Il me fit l'effet d'un court-circuit.

Yann !

À ce cri silencieux, tout mon corps se tendit. Mon frère... Ici... pourquoi ? Ses doigts relâchèrent la pression et ma tête tombait à nouveau.

– Y... y...

Ma bouche se crispait en une grimace affreuse tandis que j'essayais d'articuler son nom.

– Oui, Joanna, c'est bien moi.

Sa voix était douce et posée, mais en même temps il me parlait de la même façon que s'il s'adressait à un animal. En relevant péniblement la nuque, je le vis commencer à marcher en cercle autour de moi, les bras croisés dans le dos. Il portait une espèce de longue veste claire à haut col qui ne ressemblait à rien que j'aie déjà vu. Jamais je n'aurais pensé trouver mon petit frère dans une telle position de force par rapport à moi. Qu'est-ce qu'il allait dire ? Qu'est-ce qu'il allait faire ? Les questions se bousculaient dans mon esprit fatigué. Il devait forcément m'expliquer. Le mois dernier encore on était allés au cinéma tous les deux, on avait mangé des gaufres, on avait ri tous les deux... D'ailleurs, le Yann actuel avait commencé à rire doucement d'un rire qui n'était pas le sien. Je pense que c'est à partir de là que j'ai définitivement considéré que j'avais changé de monde. Mon passé n'existait plus et n'impactait en rien mon futur.

– Tu as une force en toi qui te dépasse, me dit-il sans me regarder. Ta puissance, tu ne peux pas la connaître, tu ne la connaîtra jamais. C'est mieux pour toi.

Ce n'était définitivement plus le petit Yann que je connaissais, celui avec lequel j'avais grandi et celui avec lequel je jouais au Lego. Celui-là n'existait plus et j'avais un très mauvais pressentiment quant au nouveau auquel j'allais avoir affaire.

– Allons, sœurette, ne me regarde pas comme ça.

Je crois que mon visage en cet instant était dévoré par la haine. Il ne m'avait jamais appelé sœurette. Je ne comprenais pas ce qui se passait en moi. Je voulais le...

– Oh, et au fait !

Son petit ton enfantin m'interrompit dans mes réflexions. Il sautilla jusqu'à arriver à mes épaules et se pencha en avant pour me souffler quelques mots dans l'oreille.

– Tu aurais mieux fait de me tuer.

Tandis que mon visage entier s'écarquillait de surprise, sa main m'envoya une violente tape à l'arrière de la tête. À nouveau, je me sentis traversée par une force presque électrique. Comment avait-il su ? Est-ce qu'il était éveillé quand j'étais passé dans sa chambre ? Est-ce qu'il avait lu dans mes rêves ? Qu'est-ce qu'il voulait dire, au juste ? Au lieu de me laisser à mes réflexions, mon corps m'y arracha. Mes yeux révulsés semblaient s'aligner avec ma gorge qui laissait entendre des gargouillements étouffés.

Le claquement d'un fouet résonna et une douleur cinglante me déchira le dos tandis que des crocs métalliques m'éraflaient à travers mes vêtements. C'était sûrement l'homme de tout à l'heure qui était de retour. Une pointe glacée pénétra ma chair et la douleur, inimaginable, me fit hurler avec toute la voix qu'il me restait. Ma vision se troubla et je m'effondrait du mieux que mes chaînes me le permettaient. Mon périple hors de chez moi n'aurait pas été long.

Brusquement, tout l'avant de mon corps bascula en avant, et je frappais le sol froid et lisse la tête la première. Mes chaînes, détachées à l'improviste, émirent d'assourdissants claquements en tombant à mes côtés. Mes jambes vinrent s'effondrer à leur tour ; j'étais libre mais toujours alourdie par ces chaînes accrochées à mes membres et complètement sonnée par la douleur qui m'assaillait de toutes parts. Je me souviens simplement de l'ultime sensation d'étranglement qui me prit alors qu'on me tirait par le col de sweatshirt pour me traîner sur le sol.

BrisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant