Chapitre 6

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– Je pense qu'on va avoir beaucoup de choses à se raconter.

Il n'était pas franchement joyeux ni tout à fait gentil, mais je le trouvais tout de même trop enthousiaste. Il y avait une sorte de deuxième aspect sous-jacent à sa personnalité de façade. Il n'était ni tout à fait antipathique ni particulièrement désagréable, et pourtant j'avais un mauvais a priori sur lui. La perspective de partager avec lui ce qui n'était pas un espace vital individuel complet ne m'enchantait guère. Et voilà qu'il voulait qu'on parle. Il avait même dit ça sur un ton qui donnait l'impression qu'il voulait vider toute la noirceur de son âme dans ce petit espace clos où je ne pouvais pas, même avec toute la volonté du monde, ne pas l'écouter. Petit à petit, à force de devoir avancer - enfin, survivre aurait été plus approprié - dans ce monde, mes anciens repères s'effaçaient. Je me sentais, bien que pas tout à fait consciemment, devenir un animal. Ce Boris, j'aurais pu le tuer. J'aurais été mieux toute seule. Après tout, les loups ont besoin d'être maîtres sur leur territoire. Je lui tournais le dos et j'avais posé mon front contre le béton frais et humide de la paroi du fond.

Si je le tuais... Au moins je serais en paix dans ce noir perçant... Il fait tellement sombre que j'ai l'impression que l'obscurité me met à nu... Et je ne vais pas autoriser cet homme à me voir nue.

Et en même temps tellement d'obstacles venaient se dresser devant l'exécution de mes plans que c'en était irritant.

Avec quoi allais - je le tuer ? Il n'y avait rien ici. Le pot à eau ? Ça ne me paraissait une bonne idée. Et puis je repensais à sa poigne d'acier et à l'éclat menaçant de ses yeux quand j'avais cru que je pourrais disposer de lui à ma guise. Cet homme n'était gentil que par une espèce de masque de façade. C'était sans doute ce qui me dérangeait chez lui.

Et puis, une fois crevé, qu'est ce que je ferai du cadavre ? Il serait sans doute encore plus dérangeant et encombrant de cohabiter avec lui qu'avec Boris. Je me trouvai forcée d'abandonner mon désir de le tuer, ce qui n'était pas pour améliorer mon humeur.

Je songeais à me retourner vers lui pour voir ce qu'il faisait - à en juger par sa respiration scandée et étrange, il devait s'être assoupi dans son coin. Alors je me rendis compte que j'avais porté ma main gauche à ma bouche grande ouverte. Je l'avais mordue tout mon sû pendant que j'étais perdue dans des considérations profondes. Ma peau était considérablement éraflée sur les côtés, ma chair semblant vouloir percer. Surtout, le sang avait coulé jusqu'à mon poignet et encore maintenant, alors que je le réalisai avec horreur, je ne pouvais m'empêcher de le lécher. Son parfum métallique et sa tiédeur m'emplissaient la bouche. Soudain, un rire froid surgit de derrière moi. Je me retournai, la langue toujours collée à ma main gauche. Boris me regardait depuis son coin, riant de plus en plus fort.

- Toi... Toi aussi... disait - il en me regardant avec des yeux revulsés.

Mes prunelles, qu'une demi journée avait suffi à habituer à l'obscurité permanente, remarquèrent que de ses dents serrées et découvertes sortait une épaisse écume de salive qui coulait sur son menton. Ses épaules étaient parcourues de tremblements. Sans le quitter des yeux, je mordis vivement dans la viande sous mon pouce. Mon corps épuisé et affamé ne réagit qu'à moitié à la douleur. Boris se redressa à demi et frappa violemment le mur. Je tressautai malgré moi tant ce l'impact fut fort. Il se leva tout à fait et, les jambes chancelantes, fit quelques pas vers moi.

- Pousse - toi ! rugit - il d'une voix plus caverneuse que d'ordinaire. Je veux... les toilettes...

Il a allumé une étincelle dans mon crâne épuisé. Immédiatement, mes dents et ma langue se sont détachés de ma main, qui est partie sur sa poitrine pour lui donner une vive ruade. Je me suis redressée aussitôt et je me suis tenue devant lui.

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⏰ Last updated: Dec 25, 2019 ⏰

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