Chapitre 6 : Julia Griezmann

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"Julia... Julia... Réveille-toi !"

                                                                                               *

Une douleur cuisante réveilla Julia, quand bien même elle eut l'impression qu'elle avait toujours été là. Sa vision demeura floue longtemps, mais son acuité était suffisante pour percevoir que la nuit était tombée, et elle entendait au loin des croassements et des chants d'oiseaux nocturnes. La fenêtre devait être ouverte, mais ce n'est pas un doux parfum de rosée qui accueuillit le réveil de la jeune footballeuse. Plutôt un mélange désagréable d'odeurs de bétadine, d'arnica et d'alcool désinfectant. Julia voulut parler, prise de panique dans un lieu qui lui semblait inconnu, mais ce fut seulement un long râle qui échappa de ses lèvres. Ce dut cependant être suffisant puisqu'aussitôt la pièce s'alluma, et trois personnes accoururent à son chevet. A leurs voix, la jeune femme comprit qu'il s'agissait des trois médecins du staff médical de l'équipe de France, et elle ne peut contenir un sentiment d'amertume, constatant que ni son frère ni son compagnon n'étaient là. 

"Bonsoir Julia, est-ce que tu te sens mieux ? Cela fait dix heures que tu dors, on était inquiets... Bon voilà, je préfère ne pas passer par quatre chemins, ton altercation avec Andy a laissé des séquelles dramatiques. Ton nez est cassé, tu as une entorse au genou... Le foot, c'est peut-être fini pour toi, et ne parlons même pas de l'Euro."

Julia resta coite pendant toutes les explications du docteur. Elle avait toujours été l'élément solide de la fratrie, la dure... Au risque de s'attirer parfois des ennemis, contrairement à son frère, toujours apprécié de tous. Quand bien même il ne venait pas au chevet de sa soeur blessée, maugréa-t-elle en son fort intérieur. Julia soupira. Son évincement de l'Euro allait en ravir plus d'un. Et plus d'une. Il est vrai que le football féminin ayant bénéficié depuis 2019 d'un regain de popularité, d'aucun et d'aucune s'étaient demandés quelle était la légitimité de Julia de jouer avec l'équipe masculine plutôt qu'avec ses consoeurs Henry, Le Sommer, et compagnie. Ses critiques avaient agacé Julia pendant des mois. Elle était avec les garçons parce qu'elle était douée, ELLE, fin de la discussion. Certains des plus sarcastiques (Pierre Menez par exemple) n'avaient pas manqué d'ajouter que si les filles donnaient leur meilleur élément aux garçons, il conviendrait que ces derniers leur donnent leur pire, et c'est souvent Adil Rami qui venait par être cité dans ces railleries. Il est vrai que l'ancien joueur de l'Olympique de Marseille n'avait pas le vent en poupe ces derniers temps, sa rupture avec Pamela et son soutien pour le régime de Recep Tayyip Erdogan ayant sévèrement amoché sa renommée. Si DD l'avait sélectionné pour l'Euro, c'était plus une expérience qu'une évidence. 

Sur ces quelques considérations, Julia sombra dans un sommeil profond, sans rêve, et se réveilla le lendemain matin en ayant l'impression de ne pas s'être reposée. Pourtant, lorsqu'elle rouvrit les yeux, les choses avaient changé. Deschamps, Giroud, Griezmann et plusieurs autres garçons de l'équipe de France étaient là, un sourire crispé sur le visage. Seul Hernandez semblait sincèrement content d'être là, mais comme il était socialement inadapté ce n'était pas vraiment quelque chose à prendre en compte. Ce fut le premier à briser la glace.

"Hola mi chiquita ! Como estas mi cariña ?"

Il manqua de lui sauter dessus, ayant apporté avec lui un bouquet de roses faramineux. Derrière, Olivier faisait pâle figure, et personne n'aurait pu deviner que c'était lui, en fait, son petit copain. Très vite, Antoine se joignit aux fanfaronnades de son ami Lucas, que le staff médical dut quand même calmer quand il s'apprêta à monter debout sur les lits. Un infirmier sortit même une seringue, le menaçant de doubler la dose de ses calmants journaliers. 
Julia regardait, indifférente, la scène, qui ne manqua cependant pas de divertir le reste de l'équipe. Finalement, Didier s'approcha d'elle.

"Bonjour Julia, je suis content que tu sois réveillée, tu as déjà l'air en meilleure forme qu'hier, affirma-t-il sans trop y croire. Bon voilà... Je sais que les docteurs t'ont prévenue, ça va pas être possible pour l'Euro. Je sais que c'est un coup dur pour toi, et j'espère que tu pourras rejouer un jour, mais pour le bien de l'équipe nous devons tous aller de l'avant..."

DD continuait sa logorrhée mais Julia ne l'écoutait plus, ayant repéré un regard brillant dans la foule que composait le reste de l'équipe. Nonchalammant adossé au mur de l'infirmerie, Adrien Rabiot lorgnait la scène, son éternel sourire mesquin sur les lèvres, que Julia détestait tant. Si elle avait jusqu'à présent enquaissait avec calme tous les coups que lui portait cette chienne de vie (et Andy, en l'occurence), elle ne put s'empêcher d'éructer en songeant que ça serait ce merdeux qui la remplacerait. 

"... Voilà, c'est tout ce que j'ai à te dire. En tout cas je te remercie de rendre ce service à l'équipe. Malheureusement on ne peut pas rester plus longtemps avec toi, il faut qu'on aille accueillir le nouveau remplaçant de l'équipe, puisqu'Adrien devient titulaire, et qu'on reprenne l'entraînement. Bon repos Julia."

La jeune femme eut une montée de stress en comprenant qu'elle avait manqué un élément crucial de la conversation, puisq'elle ne savait pas quel service elle devait rendre à l'entraîneur. Tous les joueurs commencèrent à vider l'infirmerie, et lorsqu'elle voulut retenir Olivier, celui-ci murmura seulement, le regard fuyant, qu'il devait partir à l'entraînement, et qu'il reviendrait plus tard. Alors que Julia pensait enfin être seule, et pouvoir finalement pleurer à son aise, elle remarqua que seule une personne n'avait pas bougé d'un iota.

"Tu vas rester planter là longtemps ? Tu jubiles, c'est ça ? Tu sais un bon joueur il n'a pas besoin que les autres se blessent pour devenir titulaire."

Adrien laissa échapper son éternel rire hautain, et s'approcha doucement, comme un serpent vers sa proie, du lit.

"T'as fini maintenant ? Demanda-t-il. Je suis désolée mais ton petit jeu de femelle alpha ne prend pas sur moi. Tu peux t'amuser à tyranniser ton frère et ton mec, mais si tu crois que ça me fait peur... Je suis là parce que le coach t'as demandé de me filer des tuyaux pour mon poste, t'as déjà oublié ?" 

Julia leva ses yeux au ciel. C'était ça le service qu'elle rendait à l'équipe ? Quelle blague.

"Ben t'es assez grand pour savoir comment jouer au foot. Après au niveau tactique, faudra que t'aies une grande complicité avec mon frère, mais bon t'auras du mal à m'égaler là-dessus donc bonne chance !"

Au lieu de se vexer, Rabiot eut un petit rire, à peine audible. En guise de réponse, il s'approcha un peu plus de Julia et murmura à son oreille : 

"Ne t'en fais pas pour ça, ton frère et moi nous sommes déjà... intimes."


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⏰ Last updated: Nov 01, 2019 ⏰

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Pierre qui roule...Where stories live. Discover now