Chapitre 2 - Entrée de jour, entrée de nuit.

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La porte se mit à grincer de partout. Il y avait des bruits de clefs. Des bruits de languettes de métal qu'on faisait coulisser. L'une d'elles s'ouvrit à hauteur de visage. Le vigile regarda. D'une voix sourde, il grogna. Un grognement inintelligible, mais d'un ton amical. Le vigile avait reconnu Ramon. Il actionna les verrous.

Braindata était une entreprise française parmi les plus modernes. Un fleuron de l'industrie informatique, leader mondial des outils d'analyses de données « big data » et précurseur de la French Tech. Braindata c'était un monstre financier créé dans les années 50 et qui n'avait jamais cessé de prospérer et d'innover. Braindata c'était la splendeur, la perfection économique. En revanche, pour ce qui concernait la gestion de la sécurité, l'approche était des plus surprenantes. Entre l'entrée de devant et celle de derrière, c'était le jour et la nuit.

La grande entrée, celle du boulevard Haussmann, c'était celle réservée aux huiles et aux gros clients. Là, on avait sorti le grand jeu avec reconnaissance faciale et création automatisée d'un badge électronique. Un robot le fabriquait en direct devant vous sur une imprimante 3D. Il vous tendait sa pince avec la petite carte en plastique tout juste terminée. Il vous indiquait le sas de sécurité. Une cabine rutilante toute de Plexiglas avec armatures chromées. Une fois à l'intérieur, on repartait sur quelque chose de plus classique. Les robots passaient la main à des potiches. Des potiches féminines, des potiches masculines. Sur la question du genre au moins, on s'était modernisé. Les paires de seins bombés en tailleur étaient maintenant accompagnées de petits mecs à culs moulés. Il en fallait pour tous les goûts. Pour le reste, les potiches appartenaient toutes à la catégorie « bombe sexuelle ++ ». Pas de laiderons, pas de boudins, le client devait rester concentré. Les robots lui en avaient mis plein la vue, la potiche achevait le travail de conditionnement psychologique. La potiche sexuelle++ demeurait la constante universelle des négociations bien menées. C'était triste, mais c'était comme ça.

Pour l'entrée de nuit, celle de derrière, le charme était tout autre. On était moins futuriste et pas du tout sexuel. On était plus dans le style « Pépé le moko » avec porte opaque, judas et charnières graisseuses. Le vigile qui vous accueillait avait une mine patibulaire. Une mine qui éteignait toute tentative de connexion libidineuse ou même simplement amicale. Des gars comme celui qui venait d'ouvrir, on ne les trouvait pas sur les catalogues des boîtes d'intérim spécialisées dans l'accueil des grandes entreprises. Là c'était du sur-mesure, du haut de gamme, un spécimen de la catégorie super-balèze, super freaky. Il était tellement large, il tenait à peine dans l'embrasure de la porte. Un bandeau de cuir noir lui recouvrait l'œil gauche. L'œil droit, lui, était petit, enfoncé, à l'affût. Un œil qui n'engageait pas à la conversation. Un œil qui semblait dire : Barrez-vous !

Devant, en pleine lumière, c'est certainement ce qui se serait passé, les clients auraient pris la poudre d'escampette. Pour la porte de derrière, en pleine nuit, c'était exactement ce qu'il fallait. 

Ramon Jacotte, empereur des gilets jaunes. Episode I.Donde viven las historias. Descúbrelo ahora