Chapitre XIII: Nouvelle Focalisation du Cristal Brisé

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Guillaume se réveilla au pied d'un arbre. Le Soleil ne l'avait pas attendu, et était déjà proche du zénith. Il ignorait quelle était la distance qu'il avait parcourue ou même la direction qu'il avait prise pendant la nuit, et ne savait pas où il se trouvait actuellement.

Lentement, il se leva. Mais pourquoi? Il avait tout perdu. Sans arme et armure, il n'était qu'un bête tas de chair, tout juste bon à parfois transformer la nourriture en excréments... Il repensa à la nuit dernière, à ce feu dont la simple décision de ne pas l'allumer aurait suffit à éviter ceci, à ces bandits, dont une réponse affirmative à la place d'une négative aurait pu empêcher ceci, à Bréval qui aurait pu réussir d'une manière ou d'une autre à ce que ceci n'arrive pas. «Ceci», c'est le dépouillement de sa vie en simple couloir vers la mort. D'habitude, Guillaume se serait dit à lui-même «Il suffit d'improviser, on contournera cet obstacle d'une manière ou d'une autre», mais cette fois-ci, il s'était écrasé contre cet obstacle, et il ne pouvait plus avancer. A croire qu'il ne suffisait que d'un simple enchaînement d'événements malheureux et stupides pour anéantir un égo et le sentiment d'invincibilité.

Que devait-il faire maintenant? Il ne pouvait plus pleurer, le torrent émotionnel d'hier soir étant devenu une mare stagnante et croupie. Il se mit en marche. Où allait-il? Il ne le savait pas.

Au fur et à mesure qu'il plaçait un pied devant l'autre, la faim grandissait, et il fut constamment rappelé par les sons de son estomac qu'à cette heure-ci, il aurait pu être en train de terminer l'obracara, ou quel était le nom de cette chose, en compagnie de Bréval... Guillaume ne savait pas si il allait tomber sur le camp de la veille, mais il savait qu'il ne trouverait sûrement rien là-bas. Il s'avéra que l'endroit vers lequel il se dirigeait était ce village où ils s'étaient séparés de cette fille. La majeure partie de cette courte journée était déjà terminée quand il y arriva de son pas faible, de corps mais surtout d'esprit. N'ayant pas d'argent, il n'avait rien a faire dans ce village, mais marcher était toujours préférable à regarder le soleil aller d'un bout à l'autre du ciel depuis le lieu de son réveil, car au moins, il avait un but. Pendant qu'il traversait le village, l'aubergiste de l'autre fois le remarqua, et sa curiosité de le voir ainsi, sans armure, monture ou compagnon, le poussa à inviter le jeune homme chez lui. Sans raisons de refuser, Guillaume accepta et se laissa préparer quelque chose à manger.

«Alors, qu'est-ce qui t'est arrivé à toi et ton pote?

-Des bandits nous on pris par surprise.

-Rha... J'avais justement proposé à ton copain d'aller les buter, ces enfoirés... D'ailleurs, il lui est arrivé quoi? Il est mort?

-Nan, ils le retiennent en otage. Car lui est le fils d'une famille riche, et moi... Bah il mon tout pris.

-Et qu'est-ce que tu vas faire maintenant que tu peux plus exercer ta fonction de chevalier?

-Je ne suis pas un chevalier.

-Ah bon? Pourtant ton pote m'avait dit ça, et tu te ballades en armure et à cheval, t'est donc quoi?

-Un écuyer dont le chevalier est mort. Et pour ce qui est de ce que je vais faire, bah... Je sais pas trop.

-Tu pourrais m'aider à tenir cet endroit. Au moins, tu auras un toit et à manger.

Guillaume était sur le point de répondre, mais l'évocation de la mort de Rauvain fit remonter un souvenir très proche de cet événement: Le Rêve du Cavalier. Depuis son arrivé sur le continent, il n'y avait quasiment pas pensé, et il fut convaincu que cela n'était qu'un semblant d'ordre au milieu d'un délire. Mais maintenant que ses convictions selon lesquelles tout irai bien et que Bréval ne l'abandonnerait jamais furent anéanties, celle qui affirmait que le rêve n'était pas réel semblait bien fragile... Il ressenti à nouveau cette bête à la peau froide nichant dans son ventre, celle qui accompagnait le désespoir et la connaissance de l'avenir, celle qui l'avait tourmenté à la mort de Rauvain.

«Alors, c'est oui ou non?

-Non, soupira Guillaume. Il ne me reste peut-être que trois ans à vivre, et je n'aimerais pas les passer à remplir simplement mon temps de travail.

-Que veux-tu faire, alors?

-... Je ne sais pas. Je peux dormir ici? Je partirais le lendemain.

-Oui, ce n'est pas comme si j'avais une tonne de clients de toute façon.

Quand le soir tomba, Guillaume monta dans l'une des chambres, avec le vœux de se lever tôt. En rentrant dans la pièce, l'unique chose à faire était de s'allonger sous les couvertures, ce qui était un moindre bien à n'avoir plus rien. car paradoxalement, pour chaque aspect de la vie amélioré par un objet, un autre devenait un peu plus compliqué. La dernière fois qu'il était rentré dans cette chambre, il avait encore une armure à enlever et un sac à ranger avant la douceur du sommeil. Bien que ces affaires étaient d'abord celles de Rauvain, il avait fini par s'attacher à elles, pas à un niveau individuel, mais via le sentiment de puissance qu'elles généraient une fois réunies. Perdre une ou deux de ses possessions ne l'affectait point, mais il ne pouvait s'imaginer tout perdre d'un seul coup. Et il avait fini par tout perdre d'un seul coup, et après Rauvain et lui, c'était maintenant les bandits les propriétaires de ces objets. Maintenant qu'il y pensa, voir tout ce qu'avait vécu et vivra un objet de sa création à sa destruction pourrait être très intéressant. Le parcours de ce pan de mur que Rauvain transportait avec lui devait être particulièrement captivant. En y réfléchissant un peu plus, cet artefact avait peut être quelque chose à voir avec ce «pouvoir ancien» auquel le chevalier qu'ils avaient rencontré en Assila avait fait référence, et qui semblait avoir été l'objectif de la mission de Rauvain. Ce dernier et le roi avaient forcément dû tirer leurs informations de quelque part, sûrement d'un tauventais présent sur ce continent. Et en quoi consistait donc ce «pouvoir»? Sa curiosité vis-à-vis de tout ça fut suffisante pour qu'il érigea la recherche de cette personne et de cette chose ancienne en objectif à la trace pour l'instant ténue. Tout ceci ne servait peut-être à rien, mais avoir un but, même futile et illusoire, lui semblait largement préférable à bêtement remplir son temps de vie, d'autant plus qu'il n'avait rien à perdre.

Le lendemain, lorsque Guillaume descendit de sa chambre, légèrement réchauffé, il fut appelé par l'aubergiste.

«Et maintenant, où vas-tu aller?

-Je cherche un tauventais, de préférence quelqu'un qui puisse se tenir au courant de ce qui se passe sur ce continent, et qui puisse communiquer avec le roi de Tauvente.

-Bah... Je sais pas si c'est ce que tu cherche, mais une fois, un moine qui disait être né là-bas est venu ici. Il venait d'un monastère se trouvant de l'autre côté des montagnes, dans le désert.

-Et c'est loin?

-Une bonne grosse semaine de marche. Mais comme tu l'a toi-même vu, les routes sont dangereuses, surtout ces temps-ci, avec tout ce qui se passe au Fheijah.

-Il va me falloir des vivres, et un couteau pour me défendre.

-Un s'il te plaît, c'est pour les chiens?! M'enfin, tu t'imagines bien que je ne peux pas tout t'offrir, il va donc falloir rationner.

-Oui, je sais. Désolé si je vous en demande beaucoup, mais bon, vous m'avez invité, et il fallait bien que j'en profite.

-Au moins, tu est franc. Au fait, c'est quoi cette histoire par rapport à ce que tu disait hier, que que tu allais mourir dans trois ans?

-C'est un rêve que j'ai eu la nuit où mon maître s'est fait tué. Je sais pas si il est vrai ou pas, mais je ne suis sûr de rien, alors dans le doute...

-Bon, je vais te préparer tes affaires.

Tandis que l'aubergiste était parti dans la cuisine, Guillaume se sentait étrangement libre. Ses retenues semblaient s'être envolées. Après un long moment, l'aubergiste revint, avec un sac, un couteau, et de la nourriture pour trois jours. Ceci était évidemment loin de suffire, mais il fallait faire avec. Sans plus attendre, Guillaume emporta toutes ces choses avec lui, et débuta sa percée des frontières de pierre érigée par la Nature.

Quintessence-Grains de Sable PrismatiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant