Chapitre 2, partie 2 : Rotomagg

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            Les deux chasseurs reprirent leur chemin, laissant là le dignitaire. Artimius aurait parié jusqu'à son dernier caleçon que son maître trouvait l'attitude du bourgmestre Pompaius trop étrange pour être honnête. D'autant plus que lors de leur précédent passage, ils eurent à converser avec Pompaius. La conversation fut très agréable et riche.

Lorsqu'ils furent un peu plus éloigné du funeste gibet et de ses pendus, Artimius se tourna vers Scipio et lui demanda, d'une voix assez basse pour n'être entendu que par son maître :

" Maître, ne trouvez-vous pas tout cela étrange ?

- Développe ton propos, cher apprentis. lui répondit Scipio d'une voix douce, mais narquoise.

- Et bien, nous avions déjà parlé au bourgmestre Pompaius, or il me semblait qu'il était bien plus ouvert au commerce avec les Cites-Etats humaines, ainsi qu'à une ouverture des lois et de la citoyenneté aux Hommes vivant sur nos terres. Qu'a-t-il bien pu se passer en quelques jours, pour qu'un tel retournement puisse se faire ?

- En effet, tu as mis le doigt sur ce qui me chagrine. Mais, nous avons toujours notre mission et nous allons nous y tenir. De retour au palais royale, j'irai en toucher un mot ou deux à Gasorius, l'Architecte-bibliothécaire. Je pense qu'il saura me répondre.

- Et concernant notre moyen de transport ? Allons-nous reprendre la route dès maintenant, par la Via Alfia ? Ou bien, attendons-nous demain, pour prendre la péniche ?

- La Via Alfia ne semble plus très sûre, depuis deux ans. Trop d'attaques de Grandes Compagnies humaines et Alfs ont été répertoriées et, n'étant que deux, je crains que nous ne soyons de trop bonnes cibles d'opportunité. (Scipio se tint le menton de la main droite, signe d'une intense réflexion chez lui) Non, nous allons passer la nuit à Rottomagg, puis nous prendrons la péniche demain."

Sur ce, les deux chasseurs prirent le chemin pour l'auberge dans laquelle ils séjournèrent, lors de leur premier passage. Si Artimius se satisfit de retrouver quelques cœurs féminins qu'il y avait laissé, Scipio fut perplexe.

Non, quelque chose ne collait pas.

S'il ne connaissait pas intimement le bourgmestre Pompaius, il avait une excellente connaissance du sens du négoce des Alfs vivant dans les villes et cités commerçant avec les Hommes. Ils passaient pour les Alfs les plus ouverts d'esprit, acceptant volontiers d'intégrer des humains dans leurs sociétés.

Totalement perdu dans ses pensées, Scipio faillit rater l'auberge.

L'auberge du Vétéran Rouge était un établissement respecté. Les tarifs qui y étaient pratiqués ne laissaient aucune chance au quidam de pouvoir y accéder. Cependant, les chasseurs royaux, qui plus est mandatés par le roi lui-même, n'étaient pas n'importe qui. Les pesantes bourses de Livres Lugnoises, la monnaie officielle du royaume Alf, qui leur avait été fourni aidaient beaucoup également.

L'auberge, un immeuble à colombage de quatre étages, peint en rouge, aux poutres blanches, possédait un cachet certain. Il est à noter que le reste des bâtiments de la rue, tous bâti sur le même modèle, passèrent pour être bien ternes et tristes, en comparaison. La rue elle-même, bien que pavée et propres, n'avait pas un cachet aussi joyeux que l'auberge. Cette-dernière faisait également office de point de repère pour les habitants de Rotomagg et les habitués des lieux.

De plus, les filles se livrant au commerce de charmes au Vétéran Rouge étaient toutes des humaines. Pour une Alf, se rabaisser à un tel "emploi" était totalement hors de question et tout à fait dégradant. Mais, ça n'est pas pour autant que l'on ne trouvait pas de filles-de-joie Alf. Bien que rares, elles pouvaient se trouver dans certains coin de la capitale ou des quelques cités dont les marchés et les foires étaient connus et fréquentés par plusieurs peuples différents. Et leurs services se vendaient excessivement chers. N'étant bien souvent qu'à la portée de certains politiciens parmi les plus fortunés, ou encore les plus riches et influents négociants et marchands.

" Au moins, cette bonne auberge a su garder son charme. dit Artimius. Ça n'est pas pour me déplaire, dans toute cette morosité ambiante.

- Tu devrais t'exprimer plus fort, Artimius, le reprit Scipio. Je crois bien que les passants ne t'ont pas entendu."

Artimius s'en voulut quelques secondes pour s'être ainsi comporté. Pour un peu, on eut pu dire qu'il se comportait comme un Homme.

Toutefois, Scipio n'en dit rien de plus. Le maître-chasseur se contenta de nouer les rennes de sa monture à un poteau prévu à cet effet, sis devant l'entrée de l'auberge.

Mettant pied à terre, les deux chasseurs attrapèrent les besaces sur le dos de leurs montures, puis entrèrent dans l'auberge. Une musique douce les accueillit, ainsi que l'Alf dévolu à l'accueil des clients.

Celui-ci, grand et mince, bien plus que la moyenne des Alfs, avait noué ses longs cheveux de la couleur de la paille en une suite de tresses sur l'arrière de son crâne. Un tatouage de grand drak stylisé, était tatoué de façon à enlacer l'œil droit. Ses vêtements rouges sombres accordés avec les lieux. Voyant entrer les chasseurs, il releva la tête.

" Bienvenue à l'auberge du Vétéran Rouge, la plus somptueuse auberge de notre bonne ville de Rotomagg. Annonça l'Alf à l'accueil. Bien que, maître Scipio, je n'ai nul besoin de vous en vanter les mérites plus longtemps. Dois-je vous réserver les mêmes chambres que lors de votre précédent séjour ?

- Oui, ce sera parfait. Merci Sanoius.

- Tout de suite, maître Scipio. Faut-il prévenir mademoiselle Lisinia de votre arrivée ? Elle se languissait de ne jamais vous revoir, maître Artimius.

- Et bien... commença Artimius.

- La jeune mademoiselle Lisinia devra, hélas, passer son tour. Nous ne resterons que très peu de temps et mon apprentis et moi-même avons encore beaucoup de travail." Acheva Scipio.

Non sans cacher un petit rictus amusé, Sanoius décrocha deux clefs du tableau se trouvant derrière lui avant de les tendre aux chasseurs. Si Artimius fut déçu que son maître lui interdise de revoir la belle Lisinia, il n'en montra rien. Bientôt, chacun se retira dans sa chambre.

Les chambres, richement décorées, n'étaient dotées que de très peu de mobilier. Seuls un lit, une armoire et une table de chevet habillaient chacune, ainsi qu'un bac à côté d'un tabouret sur lequel se trouvaient plusieurs baignoires, ces grands draps blancs dont l'usage consistait à conserver l'eau la plus propre possible.

Artimius, tout en se dirigeant vers le lit, laissa tomber ses besaces au sol, de manière très nonchalantes. Ce qui lui aurait valu moult réprobations de la par de son maître. Le jeune chasseur repensa à ce qu'ils avaient vu à Viridurbs. Ce silence. Cette absence de corps. Même pour un Alf, c'était très perturbant. Dans aucun des livres ou récits qu'Artimius ait jamais lu, jamais il n'avait entendu, ni lu quelque chose d'aussi étrange. Bien sûr, il y avait pléthores d'histoires de villes et villages dévastés en une nuit. Mais, dans chacune de ces histoires, on y trouvait les traces de luttes et les corps des défunts, le croassement des corbeaux se repaissant des cadavres. Bref, il y avait toujours une source de bruit.

Mais pas à Viridurbs.

Viridurbs, elle, était devenue une tombe. Un lieu où seul le silence le plus profond, le plus sincère, régnait sans partage.

L'Oeil du CycloneWhere stories live. Discover now