sécateur.

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Nuit du 09 au 10 Octobre 2034.

Ma main se lève pour saluer mes collègues qui finissent le service. Mon sourire fatigué répond à leurs exclamations teintées de jalousie. Je referme la porte de l'arrière du restaurant et soupire un grand coup. Je suis libre. Je sens la friture et aussi l'alcool à cause d'un client qui a renversé du soju sur mon pantalon. J'ai les cheveux gras et des cernes de mille kilomètres sous les yeux. Mais je suis libre. Pour environ onze heures.

Je frotte énergiquement mon visage endormi et me mets en route. La sensation que je pourrais m'assoupir à chaque pas que je fais ne me quitte pas. Je remonte mon sac sur mon épaule. Une main ramène mes cheveux en arrière alors que je m'imagine déjà me vautrer dans mon minuscule lit. Il me reste pourtant une dizaine de minutes avant de pouvoir réellement le faire.

Une douleur me vrille soudain le crâne, me faisant grimacer. Je m'arrête et me masse la tempe. Comme dirait Dae s'il était là, je ne sais pas faire deux choses en même temps. Marcher ou soulager mon mal de tête, il faut choisir. Et choisir, c'est renoncer... Mais des bruits résonnent et n'aident pas mon élancement à passer. Je bougonne de mécontentement. Je veux seulement dormir.

— Au lieu de grogner, donne-moi plutôt un sécateur !

Mes yeux s'ouvrent en grand à l'écoute de cette phrase surréaliste. Mon mal de tête disparaît comme par enchantement, mon cerveau étant trop occupé à sonner la sirène d'alarme et brandir un grand panneau lumineux disant « Barre-toi d'ici ». Bien entendu, mon corps n'en fait pas cas et reste immobile au milieu de cette ruelle.

L'ouïe aux aguets, j'attends que la voix revienne. Mes yeux tentent de discerner la ou les personnes présentes autour de moi. Mes doigts se crispent sur la bandoulière de mon sac. J'essaie de ne pas paniquer, mais c'est assez compliqué parce qu'il est plus de vingt-trois heures. L'endroit me parait beaucoup plus sombre et lugubre que d'habitude. Mon portable est sur le comptoir de la cuisine. Je suis seul.

— Mais pourquoi tu ne bouges pas ?

La voix, grave et autoritaire, me fait frissonner. Je tourne la tête et remarque enfin une silhouette accroupie, dos à moi. L'individu semble faire des mouvements, mais d'où je me trouve, je suis incapable de déterminer ce qu'il fabrique.

— Je veux un sécateur ! insiste-t-il avant de grogner à son tour.

— Et moi, un tteok, répliqué-je sans savoir d'où ça vient. Donc tu vois, toi et moi, on est voués à ne pas être satisfaits !

Il tourne légèrement la tête vers moi, mais je n'aperçois qu'un morceau de son profil à cause de sa capuche. Il se détourne rapidement comme si je ne l'intéressais pas. Pourtant, il rétorque :

— Rends-toi utile alors !

Je lève les yeux au ciel.

— La politesse, tu ne connais pas, on dirait, râlé-je.

Mes jambes font quelques pas, mais s'arrêtent bien vite quand je prends conscience de la situation. J'hésite sur la marche à suivre. M'enfuir et ne pas mourir ce soir ou m'approcher comme il me le demande et finir en morceaux dans son congélateur...

— Crumpet, crie-t-il brusquement.

Un petit ricanement passe la barrière de mes lèvres. Je jette un coup d'œil autour moi, cherchant les caméras ou alors les infirmiers d'un hôpital psychiatrique. Mais rien ni personne...

— Pancake, tenté-je malgré moi, comme si nous étions dans un jeu quelconque.

— T'approche pas, tu vas te faire mal, poursuit-il, plus doucement, presque affectueusement.

someone like you. - idy 3Where stories live. Discover now