Chapitre 25

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Au final, peu de choses ont été dites. Simplement « nous arrêterons là » et « nous ne pouvons pas t'en dire plus ». Ce discours ressemble terriblement à celui de Nadine – et elle leur a dit de tout déballer ! Anna le sait, cela n'a pas été fait. Elle n'a pas insisté pour autant. C'est déjà un miracle, qu'ils ne lui servent plus de regards déçus.

Ce changement lui paraît même trop brusque. Oui, il y a anguille sous roche... Mais ça ressort de leur vie privée, non... ? Et puis, ils ne lui ont pas demandé qui était la « femme qu'elle aime ». Il faut en rester là. Sa curiosité n'en a pas bien envie, mais elle ira contre. Peut-être que l'équilibre qui s'installe lentement entre eux trois n'est toujours pas assez solide.

Après tout, seules quelques heures se sont écoulées.

Désormais, l'adolescente est assise sur le fauteuil qu'elle a occupé le midi même, une pauvre feuille en mains. Aucune enveloppe, seules quelques lignes : « Bon courage pour supporter ton réveillon de Noël. Gigi. »

Ses parents lui ont donnée avec suspicion, sans pour autant poser de question. Anna elle-même ne comprend pas bien le pourquoi du comment Ginette a décidé de lui adresser un mot. De toute manière, cette fille est incompréhensible.

« Anna », annonce son père. Il vient de descendre leurs escaliers étroits, et de débarquer dans cette pièce jaunie de partout. « On va devoir y aller, décroche-toi de ce truc. » Ses prunelles claires sont toujours sévères. L'habitude, peut-être. Ou le fait qu'il porte une chemise au blanc trop correct, une veste marron, et un pantalon droit. Aller chez les parents de Marie n'est pas une mince affaire : ils sont à cheval sur la bienséance – peu surprenant, venant d'un militaire au compte en banque blindé –, et l'ouvrier qu'il est doit fournir des efforts conséquents. Il en est peu enjoué, aussi.

Elle se lève de son siège, et grimace tout autant pour ses hématomes qu'en sentant les coutures de sa robe la gêner dans ses mouvements. Écrue, descendant jusqu'aux tibias : elle est peu habituée à se balader dans un accoutrement pareil. Ce sont les fameux habits du dimanche, qu'elle porte en horreur. Heureusement, elle ne suit plus ses parents à la messe depuis un moment.

D'ailleurs, est-ce qu'ils y sont allés, hier matin... ?

Peu importe. Elle maudit ses bottes, son long manteau sobre, son béret tout mignon et chaste. Dès premier pas à l'extérieur, elle manque de trembler de froid. De la neige a tenté de recouvrir l'asphalte, l'herbe de leur tout petit jardin, et leur allée étroite. Marcel a déjà pris le soin de balayer les flocons dissidents logés sur le toit de sa voiture.

Marie est assise sur le siège passager ; elle regarde fixement le pare-brise, très certainement sans le voir. Ses yeux sombres sont vides. Son aura même contraste avec le soin qu'elle a souhaité apporter pour faire bonne figure devant ses parents.

Semelles crissant dans la neige, portières claquées, ronronnements du moteur. Ils démarrent, et quittent leur petite bâtisse pour aller dans la ville d'à côté. Vingt minutes de trajet, ce n'est pas grand-chose. Il ne reste qu'à prier avec mauvaise foi qu'ils ne rencontrent pas de verglas.

Dans un silence glacé, les rues grises et figées défilent autour d'Anna. Elle se tortille sur la banquette arrière : elle les sent, les ressorts, sous son tissu verdâtre. Et ce mutisme étrange, il persiste, persiste, persiste. Ce n'est pas comme s'ils étaient bavards, entre eux ; cependant, cette atmosphère-ci est singulière. Pas de ressentiment. Juste...

« On tolère ton homosexualité, lâche alors son père, mais ne la mentionne pas une seule fois devant tes grands-parents. »

Elle écarquille les paupières : son cœur rate un battement douloureux. Elle en connaît les raisons, ses aïeuls sont totalement fermés sur la question – elle ne compte plus les remarques racistes et homophobes qu'ils ont pu sortir de façon si naturelle... Toutefois, elle a l'impression désagréable qu'ils ont fait un pas en arrière.

Lumière Rouge [GxG] [TERMINÉ]Where stories live. Discover now