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Le feu de bois crépitait avec flemme et sa lueur faiblarde éclairait à peine le campement. Les rares braises furent néanmoins attisées par le geste taquin d'une brindille à moitié consumée qui remuait le foyer improvisé.

            La nuit était certes paisible, mais les contrées du Nord n'avaient pas pour habitude d'être accueillantes. Aussi, dans la quiétude apparente du campement, Maximilien se tenait aux aguets.

            Poussant un profond soupir, il réfléchissait à la prochaine étape de leur voyage. Même s'il pouvait compter sur ses deux acolytes, leur destination n'était pas sans risque. Mieux valait avoir un plan potable pour survivre au Purgetoire.

            En pensant à ce nom, un frisson lui parcourut l'échine. Traverser les contrées du Nord n'était déjà pas une partie de plaisir, mais alors visiter le Purgetoire... Pour se réchauffer et tenter de se réconforter il tira sur les pans de son lourd manteau et s'enveloppa davantage dans l'épaisse peau de bête doublée de coton. Pourquoi diable avait-il accepté cette quête ?

            Perdu dans ses pensées, il fut très vite rappelé à l'ordre quand un craquement sec rompit le silence. Tel un chasseur et en limitant au maximum ses mouvements, il dégaina lentement son épée du fourreau posé à ses pieds. Traquant le moindre bruit, il guettait une éventuelle irruption menaçante. Le cœur palpitant, son stress prit fin lorsqu'il sentit une main se poser sur son épaule.

            — C'n'est que moi !

            Rassuré, Maximilien rangea son arme et fit face à son compagnon de route.

            — C'est mon tour de garde. Va dormir, enchaîna doucement Kédéric.

            — Quelle heure ? maugréa Maximilien.

            Son confrère d'arme lui répondit d'une geste de la main en levant trois doigts. Kédéric prit place aux côtés de Maximilien et poussa un profond soupir de fatigue. Ce dernier ne bougea pas d'un millimètre et, malgré le conseil avisé de son remplaçant de veille, resta à son poste.

            — Comme tu veux... termina Kédéric en haussant des épaules. Te plains pas demain !

            L'intéressé roula les yeux au ciel. Comme si cette attitude lui ressemblait. Se campant sur ses positions, il se ressaisit de sa brindille et donna un nouveau coup dans les cendres. L'action raviva quelques flammes et put faire miroiter les visages las de deux aventuriers éreintés.

            Les deux veilleurs respectaient le silence l'autre et tandis que la nuit poursuivait sa course, accompagnée par le chant monotone des criquets, un puissant ronflement émanant de l'intérieur de la tente du campement de fortune.

            Les minutes défilèrent et les heures passèrent. Tels deux gardes à surveiller le foyer, les deux aventuriers fixaient les maigres flammes dans un silence monacal. L'aube naissait dans la nuit, une nouvelle journée de labeur allait bientôt commencer. Même si les trois compères n'étaient qu'à une demi-journée de marche de Shirolite, la ville minière carrefour des métropoles de Varangon, arrivés sur place ils devraient encore glaner diverses informations pour progresser dans leur quête. Une quête sans fin selon eux. Depuis maintenant quatre mois qu'ils avançaient entamé leur périple, chacun commençait à trouver le temps long. Non point qu'ils n'aimaient l'aventure, mais le niveau de stagnation de leur progression les irritait au plus haut point. Et plus les jours s'égrénaient, et moins ils croyaient à l'éventuelle fin de leur pérégrination. En ça, Shirolite était devenue la ville de la dernière chance.

            Le vrombissement guttural d'un homme encore endormi se fit une fois de plus entendre. Maximilien, après la nuit blanche qu'il venait de subir, se retourna agacé, un rictus énervé déformant son visage.

            — C'est très dur pour lui aussi, intervint Kédéric. Il ne faut pas trop lui en vouloir...

            — Parce que ce n'est pas dur pour toi ? Ni pour moi ? rétorqua Maximilien, à cran.

            — C'est pas pareil... Nos situations sont différentes. Je crois qu'il n'a jamais été aussi longtemps séparé de sa famille.

            — Qu'il retourne chez sa mère, s'il préfère alors !

            — Arrête de faire le con ! Tu sais très bien que ça n'a rien à voir.

            Mais pour couper court à la discussion, Maximilien se détourna de son ami, et tout en se levant ramassa son arme avant de filer dans le bois qui les abritait. Le regardant s'éloigner ainsi, Kédéric roula les yeux au ciel et s'ingénia à réveiller Clyde sous la tente. Prêchant pour la méthode rapide et sans contours, il s'empara d'une besace qui traînait non loin, ouvrit sans discrétion la tente, et jeta sans sommation son projectile sur le corps assoupi. Ce dernier se cambra de surprise et Clyde se redressa d'un bon, hagard et l'esprit embrumé par une nuit trop courte.

            — Debout feignant ! s'amusa Kédéric de sa facétie. Faut qu'on décolle dans dix minutes !

            Et sur ses paroles, il lâcha le pan de la tente. Shirolite n'était pas très loin, mais fallait-il d'abord effacer les traces de leur campement. Sait-on jamais... Tout en s'affairant à cette tâche, il priait pour que Clyde soit prêt avant le retour de Maximilien. À l'heure actuelle, il était inutile d'accroître sa mauvaise humeur, ni la morosité générale.

            Seul dans ses pensées, Kédéric pensait à la prophétie qu'on leur avait répétée quand on les avait engagés pour cette soi-disant quête de l'Aurore. Un détail le perturbait et il était convaincu que cette aventure était vaine. Mais il se gardait de confier ses craintes pour éviter d'enrayer le peu de joie de vivre restante du groupe.

            Un craquement le fit sortir de ses rêveries. La main sur le pommeau de son épée, il se mit sur ses gardes. Le bruissement des feuilles de plus en plus audible lui fit monter une pique d'adrénaline. Dégainant sa lame, il la pointa en direction du danger.

            — C'est qu'moi !

            — Oh ! lâcha Kédéric, nez à nez avec Maximilien, avant de rabaisser son arme.

            — Hmm... maugréa ce dernier.

            — Ça va mieux ?

            — De quoi ?

            — Tu te sens plus léger ?

            — Rho, ça va hein ! vociféra-t-il.

            Puis il s'écarta, l'air toujours un peu bourru, un sourire dissimulé au coin des lèvres. Derrière, il put entendre Kédéric étouffer un petit rire. Reprenant son sérieux, il se racla la gorge et, tandis que Clyde quittait la tente, apprêté, il s'exclama :

            — Allez ! On s'casse. Shirolite à midi !

            Sur ses mots, il prit la direction du nord, et ouvrit la marche sans attendre. Clyde s'empressa de le suivre en attrapant au vol ses affaires. Quant à Kédéric, il balaya des yeux le campement une dernière fois, vérifiant n'avoir rien oublié, et lança un minuscule objet au milieu de leur ancien camp. En un éclair et dans un nuage de poussières, tout ce qui traînait aux alentours fut aspiré et absorbé par ce qu'il venait de jeter au sol. Le jeune homme attendit que le calme revienne et ramassa en toute tranquillité la petite capsule hoïpoï qui contenait à présent toutes leurs affaires.

            — C'est quand même vachement pratique ce machin...

La Quête de l'AuroreWhere stories live. Discover now