- III -

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La bouche encore pâteuse et un tissu collé sur son nez blessé, Maximilien s'engouffra une seconde fois dans la taverne du Poney qui pue. Peu satisfait de devoir y remettre les pieds, il s'accouda au bar au fond de la salle principale. Tout en maintenant son linge en pression pour arrêter les saignements, il regardait en arrière, vers la porte de la taverne dans l'espoir qu'un de ses deux acolytes repasserait le seuil. En vain...

            — Eh bien, on revient seul chez nous à ce que je vois.

Une voix féminine brisa le court de ses pensées. Sans même lui attribuer la moindre importance, Maximilien lui répondit par un beuglement bestial et sans appel.

            — J'ai assisté de loin à votre chamaillerie, ricana la même voix. J'sais pas ce qui vous a pris, mais ça a bien pété entre vous.

            Cette fois-ci, elle buta contre un mur de silence. Levant les yeux au ciel, elle soupira à moitié amusée par ce comportement misanthrope et sauvage d'ours mal léché.

            — Allez, tiens bois ça ! C'est la maison qui offre ! Profite c'est rare, s'esclaffa-t-elle.

            — J'veux pas d'ta pit... commença Maximilien en se retournant avant de s'interrompre et de balbutier : Aurore... ?

            — Ben t'en as mis du temps, explosa-t-elle de rire. Je me demandais quand est-ce que tu allais te retourner !

            La brute épaisse qui siégeait au bar se mua en une fraction de seconde en un jeune homme bien plus tendre, ravi de revoir une amie de longue date, perdue de vue par le temps... Les yeux incrédules, il peinait à croire que cette femme, autrefois fille des champs, se trouvait devant lui, derrière le comptoir.

            — Aurore... répéta-t-il.

            — Au moins c'est bien, t'as pas oublié mon prénom, se moqua-t-elle.

            — Mais comment tu t'es retrouvée dans cette ville, à Shirolite ? Et surtout comment t'en es arrivée à servir dans une taverne à gnomes ?

            — Oh ça, c'est une longue histoire ! Je te la raconterais volontiers plus tard, mais là, c'est pas l'endroit, lui sourit-elle. Tu veux dormir là ce soir ? C'est pas le grand luxe, ni le plus propre, mais c'est mieux que dehors...

            D'un simple hochement de tête, il accepta la proposition. Et même si cette auberge regorgeait d'être à éradiquer selon lui, revoir cette femme lui remettait un peu de baume au cœur après toute ces épreuves.

            — Tu veux grailler un peu ? Je suppose que si t'es parvenu jusqu'à cette ville pourrie, c'est pas par gaieté de cœur...

            Il acquiesça sans rien dire. Sa bourse pouvait lui permettre de s'accorder un repas d'auberge. De toute façon, la journée ne pourrait pas être pire...

            — Super ! se réjouit Aurore avant de crier d'une voix forte et dénuée de charme : Oh, Cuisine ! Un menu pour le comptoir !

            Un pâle sourire s'esquissa sur son visage. L'atmosphère pesante de leur aventure ces derniers jours avait été étouffante. Cette rencontre totalement fortuite agissait comme une bonne goulée d'air frais. Se saisissant de cette opportunité pour souffler un peu, il s'empara de la chope de bière et but sans méfiance. Non que le breuvage fût fort ou amer, mais profondément infect et odieux... Avalant difficilement ce qu'il s'était empressé d'ingurgiter, il reposa sa pinte en mimant l'autosatisfaction virile d'une petite mousse rafraîchissante. Afin de penser à autre chose que le goût décapant de la bière qui lui ponçait palais, œsophage et système digestif, il entama la discussion avec Aurore, déjà affairée à servir d'autres gnomes.

            — Ça fait longtemps que tu es sur Shirolite ?

            — Bof... Quelques mois oui, répondit-elle entre deux clients déjà ivres. Je dirais huit à dix mois... Franchement, j'ai perdu le compte en vrai. Servir ici occupe la plupart de mon temps, j'ai plus le temps de penser à d'autres choses.

            — C'est triste...

            — C'est sûr que c'est pas le boulot de mes rêves... Mais je suis toujours mieux ici qu'à la ferme, entre boue et déjections.

            — Pas faux ! Tu voudrais pas te barrer de là ? s'aventura Maximilien.

            — Peux pas ! C'est une longue histoire, je t'ai dit !

            Aurore mettait toute son énergie à satisfaire chacun des clients, qu'il fût gnome, humain, nain, etc. Elle s'agitait dans tous les sens, gérant d'une main de maître la soudaine fluctuation de soiffards. Maximilien s'avisa de la déranger plus longtemps et s'enferma dans un silence de réflexions intérieures.

            — Et voilà ton repas, lui servit Aurore, toute guillerette. Tu paieras plus tard. Je te laisse, y'a encore du boulot !

            Et elle s'éloigna, accomplissant les diverses tâches qui lui incombaient de faire. Maximilien se retrouva alors de nouveau seul, attablé au comptoir, entouré de créatures qu'il méprisait par-dessus tout... Il inspira profondément pour y faire abstraction, et se persuada qu'il avait au moins un bon dîner chaud après tant de repas froid passé à la belle étoile. Il huma l'odeur du plat qu'il n'avait pas encore étudié, laissant ses sens s'envahir de tels effluves.

            Mais sa liesse fut de courte durée quand il examina enfin ce qu'il y avait devant : une bonne portion d'endives au jambon ainsi qu'un bol bouillant de bouillon de légumes. Pris d'un haut-le-cœur, il repoussa de la main son menu. Pour cette soirée-là, la faim et la frustration seraient ses seules compagnes...

La Quête de l'AuroreWhere stories live. Discover now