Chapitre 2

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Fouiller les poubelles, chasser les rats, dormir sous les carrosseries des voitures, c'est ma vie semblable à celle d'un sans domicile fixe depuis je-ne-sais-plus combien de temps maintenant, à un détail près, moi je suis un chat.

J'étais normale avant, avant que je meurs dans l'explosion de mon laboratoire. Adam c'était mon prénom, scientifique était ma passion,  psychologue était mon métier. Je vivais dans un appartement petit mais confortable et l'une des pièces était consacré à recevoir mes patients. Je ne voulais pas travailler dans un vulgaire bureau, être relégué au rang de "l'autre psychologue" et croiser chaque jour mes collègues. À vrai dire le contact humain ce n'était pas vraiment mon truc malgré que mon métier laissait présager le contraire. Alors j'avais aménagé mon appartement pour y recevoir mes patients. De toute façon ils n'étaient pas bien nombreux, quatre ou cinq consultations par jour et ensuite je pouvais passer mon temps libre dans mon laboratoire. Laboratoire où je suis mort.

J'y faisais des recherches sur le développement du cerveau et notamment sur les conséquences d'un crâne plat chez les nourrissons. Ce n'était pas bien important aux yeux des gens, je n'étais pas reconnu, loin d'être un Pasteur ou un Koch. Mais c'était important pour moi. Sauf que pour garder des subventions il fallait mener des vrais recherches ou au moins donner des résultats donc quelques fois j'étais amené à faire quelques expériences chimiques. Jusqu'au jour où il y a eu l'expérience de trop.

Je crois que j'étais exténué ce jour-là. À l'époque déjà je ne dormais pas bien la nuit malgré les somnifères alors je n'étais pas bien réveillé quand j'ai commencé à mélanger du césium et de l'eau. L'hydrogène libéré par la réaction s'est enflammé à cause d'un bec électrique encore chaud posé non loin. Le laboratoire a fait boum et moi avec.

Quelle ne fut pas ma surprise d'ouvrir les yeux et d'apercevoir une vive lumière, celle d'un soleil d'été. J'avais chaud comme jamais je n'ai eu chaud et c'est seulement en essayant de me lever que je m'étais aperçu que mes bras et mes jambes étaient devenus de longues pattes poilues. Et lorsque j'ai tourné la tête, mon dos se terminait par une épaisse queue touffue. Tout ça pour dire que je me suis réincarné en un chat a poils longs et noirs sur la majorité de mon corps et que l'été est un enfer dans ces cas-là.

Depuis j'erre inlassablement dans les rues de New York. Les saisons passent et avec les bagarres de territoire, les femelles en chaleur, la pluie de l'automne, la neige de l'hiver, le vent du printemps et le soleil brûlant de l'été. Je parcours les ruelles à la recherche de quoi manger, quelques fois c'est un rat, parfois les restes d'une pizza mais il n'est pas rare que je reste plusieurs jours sans manger, comme en ce moment.

Cela doit faire quatre ou cinq jours, peut-être plus je ne compte plus, que je n'ai rien avalé. Mon corps s'est nettement amaigri, je n'ai plus que la peau sur les os. Mes muscles sont affaiblis et portent difficilement ma frêle carcasse. J'ai soif aussi mais plus le courage de me déplacer jusqu'à un caniveau rempli d'eau. Le béton n'est pas confortable, il abîme la chaire de mon corps qui ne veut plus bouger. Il y a bien des gens qui passent, certains enfants même me regardent avec leurs grands yeux pleins de pitié mais qui voudrait d'un animal errant sûrement malade et mourant ? Les rues ont été ma maison durant si longtemps que je ne dois ressembler à rien d'autre qu'un pouilleux. Même les puces qui vident mon sang doivent se moquer de moi.

Les heures passent et la Mort semble proche. Malgré que la nuit soit tombée, je vois toujours autant de gens passer. New York a toujours été très animée que ce soit le jour où la nuit. La chaleur qui s'était emmagasinée dans mon corps commence peu à peu à s'évaporer, je meurs de froid. Quelques mouches volent au-dessus de ma tête comme des vautours qui attendent leur repas. Elles n'auront qu'à manger mes excréments, je n'ai même pas eu la force de me déplacer pour faire ailleurs que sur moi. C'est comme ça dans le monde animal de toute façon, les plus faibles périssent et aujourd'hui je suis devenu le faible. J'imagine que ma peau doit porter par endroit les stigmates d'une vie passé à se battre contre les autres chats pour conserver la place sous une voiture ou pour protéger sa nourriture durement acquise. Je vais mourir là, plein de puces, de cicatrices et de pisse comme le vulgaire animal que je suis.

Des bruits de pas me forcent tout de même à garder les yeux ouverts. J'ai beau être dans une ruelle peu empruntée, une silhouette s'approche de moi. Je feule lorsque la femme essaie de me toucher mais le reste de mes forces me permettent de donner un faible coup de patte qui ne ferait même pas fuir une souris. Ma tête retombe durement sur le sol, quelques cailloux rentrent dans mon oreille et je ne peux même pas me secouer pour les défaire. L'humaine me regarde avec pitié comme tous les autres. Va-t-elle appeler la fourrière pour se débarrasser de moi ou mettre fin à mes jours d'un coup de pied sur la tête ?

J'ai passé plus de temps en humain qu'en chat alors je peux encore reconnaître l'hésitation quand j'en vois. La jeune femme hésite avant que ses bras me soulève du sol pour me coller contre elle. Bien que la chaleur corporelle d'un humain ne peut que soulager mon corps meurtri, je ne peux contenir mes grognements de colère. Jamais on ne m'a touché si ce n'est pour me filer un coup de pied ou pour tirer ma queue. La rue m'a appris qu'il faut se méfier des humains comme de la peste et le Adam que j'étais lors de mon humanité pensait exactement la même chose que celui que je suis devenu.

Si elle s'attend à ce que je sois un docile chat d'appartement, elle se met le doigt dans l'oeil.

Resurrection's languageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant