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Johnsontown se présentait sous forme d'une petite ville tranquille et paisible. Arpentant les rues dans mon pickup, je pus reconnaître le vieux quartier de la ville, là où se trouvaient les plus belles demeures, aux immenses colonnes blanches et aux jardins interminables. En continuant ma visite, je passai dans d'autres rues, plus modestes, mais avec tout autant de charme. Quelques habitations ça et là, le coin semblait tranquille. En remontant l'avenue Kennedy, je rejoignais le « centre », si l'on pouvait l'appeler ainsi, de Johnsontown.

En ce mois d'avril, de magnifiques cerisiers en fleurs arboraient l'avenue et quelques pétales s'envolaient pour atterrir sur le bitume. Je ne pus m'empêcher de ralentir un peu plus la voiture pour admirer ce spectacle. On klaxonna derrière moi. Je sursautai et réappuyai sur l'accélérateur.

J'étais un tant soit peu surprise de cette réaction. Je pensais naïvement que les gens pressés et impatients se concentraient tous en ville, leur routine terne et interminable inculquée en eux. Mais apparemment, je m'étais trompée.

Je regardai dans mon rétroviseur, afin d'avoir une idée de qui j'avais eu à faire. Une vieille Camaro rouge me suivait. L'homme qui conduisait portait des lunettes de soleil noires et j'eu de la peine à deviner ses traits du visage, l'arrière du pickup me bouchant la visibilité. Il afficha un large sourire et fit signe de la main, étrangement. Je m'attendais à trouver quelqu'un d'allure désagréable et hautaine, mais cet homme ne m'inspirait absolument pas cela.

Je rendis un geste de la main timide à travers la vitre arrière, un peu confuse par cette attitude paradoxale, et me concentra à nouveau sur la route. J'eu bien fait de regarder où j'allais puisqu'à ce moment, un adolescent d'environ 13 ans manqua de se faire renverser par la minable conductrice que je suis. Je m'arrêtai tout juste avant de ne le toucher et le jeune s'empressa de faire une remarque véhémente. Pas étonnant, j'aurais dû regarder où j'allais ! je tentai de m'excuser et continuai ma route. Moi qui voulais être discrète ici...

L'avenue Kennedy était la principale rue de Johnsontown et elle menait droit à la promenade Saint Jude, face à la mer. Avant d'arriver jusqu'à la plage, je décidai de tourner à ma droite, où se trouvait un petit parking peu rempli.

Je sortis de la voiture et remarquai que l'air était plutôt doux et qu'une odeur de poulet grillé flottait dans l'air.

Bien que nous fussions dimanche, quelques petits commerçants restaient ouverts, comme cette vieille librairie que je trouvai au hasard en me promenant. On pouvait deviner à l'odeur qui régnait à l'intérieur que les ouvrages ici étaient vieux et que le lieu était peu fréquenté. Une vieille dame aux cheveux argentés tirés en arrière se tenait derrière le comptoir et me sourit quand j'entrai. Je fis de même, la saluant. Je fis un tour rapide des étagères remplies à ras bord de bouquins en tout genre. Romans d'amour, thrillers, théâtre, poésie... il y avait du choix pour une si petite librairie. On aurait à peine pu passer deux personnes dans la largeur d'un rayon !

Je me sentais bien ici. L'espace était restreint, mais ça m'allait bien. J'aimais le bruit du plancher qui grince sous chacun de mes pas.

La vieille libraire s'approcha de moi.

« Vous recherchez quelque-chose en particulier, madame ? »

Elle avait une voix un peu chevrotante et ses yeux brillaient, comme deux billes noires emplies de curiosité.

- Non, pas spécialement, je regarde.

J'hésitai, et me lança finalement.

- Je suis nouvelle ici, en quelque sorte, alors je découvre.

La vieille dame pencha légèrement sa tête sur le côté, intriguée.

- C'est bien vrai que je ne vous ai jamais vue ici. Depuis quand êtes-vous à Johnsontown, si je peux me permettre ? dit-elle d'un ton doux.

Elan de panique.

- Hmm, à vrai dire... deux mois..., balbutiai-je.

- Deux mois ? Allons, pourquoi n'êtes-vous pas venue me voir plus tôt ! il me restait encore des anciennes éditions des Fleurs du Mal, de Charles Baudelaire, vous savez, le poète français...

- Oui, je connais très bien, en fait je suis d'origine française, mes parents ont habité là-bas un moment.

Elle hocha la tête, sûrement était-elle en train d'analyser ce que je venais de dire.

- Rose Wullen, appelez-moi Rose, déclara-t-elle en me tendant la main chaleureusement.

Elle arborait un large sourire. J'avais cette impression de l'avoir toujours connue.

- Lila Sparks, enchantée.

J'avais réellement apprécié chez cette femme ce tact et cette délicatesse dans ces propos. Elle avait sûrement deviné mon état anxieux à la vue de mon langage corporel lorsque j'avais annoncé que j'étais dans cette ville depuis deux mois, mais elle n'a pas cherché à creuser plus. Rose m'inspirait confiance, et en même temps, ses yeux malicieux laissaient deviner une âme encore jeune et pétillante.

Depuis la première fois depuis longtemps, je réussis à me sentir bien ailleurs que dans le cabanon. Pour la première fois depuis longtemps, je commençais à me dire véritablement que tout allait bien aller. Après tout, le printemps, c'est la saison de la renaissance, non ? 

Dear Mister SpringOù les histoires vivent. Découvrez maintenant