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« Aurais-tu perdu le sens de la parole, ma jolie ? »

Sa voix me faisait l'effet d'un liquide létal que l'on injecte dans les veines. Je voulais courir aussi vite que mes jambes pourraient me porter, comme dans le cauchemar que j'avais eu chez Caleb. Mais mon corps semblait complètement détaché de mon esprit. J'étais tétanisée et incapable de m'enfuir face à ce monstre. Un nœud s'était formé en mon for intérieur, et une impression d'être prise au piège commençait à s'immiscer dans mes pensées.

Shawn tourna enfin sa tête devant la personne qui se plaçait légèrement devant moi : Caleb.

« Je vois que tu as vite retrouvé de la compagnie, toi qui disais être traumatisée ! s'écria Shawn en insistant sur « traumatisée » avec des gestes signifiant des guillemets. »

Je sentais les larmes monter et me brouiller la vue. Même s'il était en contre-jour devant nous, Shawn ne se résumait désormais qu'à une silhouette noire, grande et longiligne. L'angoisse ne faisait qu'accroître en moi, mon corps tremblait de toutes parts.

Shawn semblait trépigner sur place, il ne cessait de bouger dans tous les sens. Il avait toujours été nerveux, impulsif et colérique. Il ne changerait jamais, et c'était bien cela qui m'effrayait le plus. S'il était là ce soir, ce n'était certainement pas pour prendre de mes nouvelles.

« Je ne pense pas que Lila t'ait invité ce soir, déclara Caleb d'un ton froid que je ne lui avais jamais connu.

- Bien joué, Sherlock, répondit aussi froidement Shawn.

Caleb se plaça un peu plus devant moi.

- Tu m'excuseras, mais je ne suis pas venu jusqu'ici pour te voir, le toutou, ajouta Shawn. Je suis venu voir Lila. Je suis venu reprendre Lila.

Mon cœur manqua un battement. La spirale infernale du cauchemar recommençait.

- Ça ne va pas être possible, répondit fermement Caleb.

- Je ne t'ai pas demandé ton avis. »

Un élan de force m'envahit alors et je ne levai péniblement, enlevant mes talons et ainsi me retrouvant pieds nus dans l'herbe fraîche.

« P-Pourquoi tu veux q-que je revienne ? demandai-je péniblement.

- Pourquoi ? enfin, Lila, n'est-ce pas évident ? »

Je ne répondis rien. La simple évocation de mon prénom dans sa bouche, son intonation, la façon qu'il avait de prononcer ces deux syllabes m'horripilait. Il me parcourut le corps d'un regard mauvais qui déclencha une vague de frissons d'effroi sur l'intégralité de ma peau.

« Regarde-moi ce visage, un si beau visage ravagé par les larmes. Ton maquillage coule, chérie. C'est pas joli une si belle fille comme toi qui pleure.

Une autre larme roula sur ma joue. Shawn se tourna vers Caleb.

- Bien, toi, tu vas pouvoir partir maintenant. Lila et moi, on va repartir tranquillement, sans faire de cinéma et tout redeviendra comme avant.

Caleb n'eu pas le temps de répondre que Shawn m'attrapa les bras et me tirant vers lui. J'eu beau essayer de résister, sa poigne était ferme et des dizaines de souvenirs que je pensais désormais enfouis inondaient ma mémoire. Le simple contact de sa main sur ma peau me donnait envie d'hurler à l'aide.

- J'ai dit pas de cinéma, cracha Shawn à mon intention tandis que je gémissais de douleur.

- Laisse-la.

- Retourne à l'intérieur, ça vaut mieux pour tout le monde. »

Caleb s'approcha un peu plus de Shawn, qui me broyait toujours l'avant-bras de sa poigne. Ma gorge était sèche et mon incapacité à parler persistait.

« J'ai dit laisse-la.

- Tu veux jouer les héros, c'est ça ?

- Caleb, non... »

Ma gorge se nouait de plus en plus. Ce bal censé être une des plus belles soirées de l'année virait au cauchemar.

Shawn lâcha son emprise quelques secondes afin de s'avancer vers Caleb. Je mis quelques instants à me rendre compte que c'était ma chance à saisir, trop en état de choc pour réagir rapidement. Tandis que je distinguai les deux jeunes hommes se rapprocher l'un de l'autre, mon cœur sembla s'arrêter. C'était le moment. Le moment de m'enfuir. Une fois de plus. Encore une fois, je fuyais. Je fuyais ce monstre qui m'avait brisée. Ce monstre qui me voulait encore et toujours.

Mes jambes mirent quelques secondes à se mettre en marche, et finalement je finis par courir aussi vite que je le pus. Mon souffle saccadé et une respiration irrégulière, un poing me tiraillait le flanc gauche. Je me retrouvais à courir comme si ma vie en dépendait -notez l'ironie- dans la nuit. Je croisai quelques invités en sortant du bal qui me lancèrent des regards furtifs, inquiets et curieux. J'avais laissé derrière moi les deux hommes, dans le fond du jardin, prêts à en venir aux mains. Quelle égoïste je fus.

D'abord, mes pieds nus se mirent à glisser de temps à autre sur l'herbe recouverte de rosée. Quelques instants plus tard, ma plante des pieds se faisait agresser par les gravillons du bitume. J'étais donc là, courant de toutes mes forces, en robe de bal, le maquillage ruisselant sur mes joues trempées de larmes, les pieds en sang. Voilà où j'en étais. Le cauchemar recommençait. Et si Shawn venait me retrouver, pour me prendre de force avec lui ? je chassai cette idée -bien que fort probable- de mon esprit et continuai de courir. Je voulais hurler. Hurler au monde ma souffrance, cette souffrance qui jusqu'à présent restait enfouie, mais qui ce soir revenait. Cette douleur qui me perforait le cœur, les poumons, mon corps entier. Cette fois-ci, je ne tiendrai pas. Je ne pourrais pas survivre une fois de plus avec ce tyran.

*

Etat de choc. Je n'avais aucune idée de l'endroit où je me trouvais. Sûrement au beau milieu des bois, à en juger par ces immenses conifères qui m'entouraient. J'avais couru, encore et encore. Un effort sans relâche et qui relevait de la survie. Je sentais du liquide chaud -du sang- se déverser sur mes jambes nues. Des centaines de ronces m'avaient lacéré les jambes alors que j'avais relevé ma robe pour pouvoir courir plus rapidement dans les bois. Pourtant, ce n'était pas mon souffle ou mon corps qui me préoccupait désormais. C'était Caleb. Je l'avais laissé en plan, là-bas, dans l'antre du loup. Je l'avais abandonné avec le monstre. Je me sentais pourtant incapable de retourner là-bas. Et puis, qu'allais-je bien pouvoir faire ? il était impossible de pouvoir raisonner un personnage comme Shawn. Quand Shawn voulait quelque-chose, il finissait toujours par l'avoir. J'essayai tant bien que mal de ne pas penser à Caleb, le visage ensanglanté, au sol et laissé pour mort. Shawn en était parfaitement capable, et il le ferait sans scrupules.

L'angoisse coulait toujours dans mes veines et semblait faire battre mon cœur. Seule la peur me tenait en vie désormais. Je courais et je fuyais parce que j'avais peur. De l'effroi à l'état pur. L'instinct de survie avait repris le dessus sur moi. Et maintenant, je me retrouvais au milieu de cette forêt et je n'avais aucune idée d'où je me trouvais.

Mon esprit semblait être détaché de mon corps. La peur m'avait fait réagir en courant aussi vite que mes jambes pouvaient me porter, mais j'étais incapable de réfléchir. Mes membres flageolants, épuisés, me firent au moins comprendre que je devais m'assoir. Mon organisme déclarait forfait. En trébuchant et en m'écorchant la chair encore quelques instants, je finis par trouver un creux laissé dans un arbre, comme si le conifère avait été taillé à la racine. Cela allait me constituer un abri, au moins pour la nuit. Je m'assis donc là, repliant ma robe sur mes jambes engourdies et blessées.

Il me sembla perdre conscience quelques secondes plus tard.

Dear Mister SpringOù les histoires vivent. Découvrez maintenant