Dramas & Mojitos

6 : Brune, ou y penser malgré elle

Le professeur avait commencé depuis dix minutes lorsque Charlotte arriva.

Embarrassée, Brune regarda sa nouvelle connaissance lui faire coucou, attirer sur elle l'attention de tout l'amphithéâtre, et demander à trois personnes de se lever pour qu'elle puisse la rejoindre.

C'était une très mauvaise idée.

« Mademoiselle ? »

Charlotte se retourna, et Brune se figea.

Le règlement était formel : interdiction d'amener aux cours des personnes extérieures à la fac. Puisqu'ils étaient cent-cinquante dans la promotion, et que le professeur ne connaissait pas les visages, Brune avait pris le risque.

Mais elle n'avait pas prévu que Charlotte se fasse remarquer.

Le professeur plissa les yeux.

Brune le connaissait. Il serait impitoyable.

« Parlez-moi du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. »

Brune tressaillit. C'était le sujet du cours de la semaine dernière. Cours qu'évidemment, Charlotte n'avait pas suivi, puisqu'elles ne se connaissaient que depuis moins de vingt-quatre heures. Elle tenta discrètement d'avancer son ordinateur vers elle, mais Charlotte ne remarqua rien.

Elle était toujours debout, aux côtés de Brune. Tous les regards étaient braqués sur elle.

Charlotte rougit.

Brune se mordit la lèvre. Voilà. Elle en était sûre. Charlotte ne savait pas. Pourrait-elle lui souffler la réponse sans se remarquer ?

« Il s'agit du second discours écrit par Rousseau pour l'Académie de Dijon. Il y démontre que les inégalités ne sont pas naturelles, mais sociales, ce qui va totalement à l'encontre des mœurs de l'époque. Plus spécifiquement, l'inégalité se construit par la propriété privée : elle sépare les possédants des non-possédants, les dominants des dominés, et elle est légitimée par la société. »

Silence. Charlotte baissa la tête.

« D'après Rousseau, bien sûr. »

Le professeur croisa les bras. Brune n'arrivait pas à savoir s'il était satisfait ou non.

« Asseyez-vous. Et ne soyez plus en retard. »

Charlotte ne se fit pas prier. Brune sentit son cœur recommencer à battre.

« Tu as fait une licence de lettres ? De philo, peut-être ?

- Non. J'ai passé deux ans en médecine, chuchota Charlotte.

- Comment tu sais ça, alors ? »

Charlotte haussa les épaules.

« Je l'ai lu quelque part.

- T'as l'air d'avoir une bonne mémoire, commenta Brune.

- Ouais. Pas assez pour réussir mes études, apparemment. »

Brune voulut dire quelque chose de réconfortant, mais elle ne trouva pas. Elle ne connaissait pas beaucoup Charlotte. En fait, elle ne la connaissait pas du tout. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait accepté qu'elle l'accompagne en amphi.

Brune lui avait donné son numéro pendant qu'elles tenaient les vestiaires, au cas où Charlotte aurait besoin de conseils. Elle ne s'attendait pas vraiment à ce que la petite blonde la supplie de l'emmener à la fac.

« Je peux te demander pourquoi tu... enfin, pourquoi tu voulais venir ? »

Charlotte était concentrée sur les diapos du professeur. Elle semblait vraiment avoir envie de percer les secrets des écrits de Rousseau, ce que Brune trouva étrange. Pour une ex-étudiante en médecine.