Mari de nuit : un incube dans la ville

Chapitre 3 (partie 2)

Pauline avait tout raconté à la vielle voyante.
Impassible, celle-ci avait écouté. Ravie, elle n'avait pas cessé d'hocher la tête. Une fois le récit achevé, elle s'était simplement contentée de sourire. Elle n'avait rien dit. Elle n'avait pas commenté non plus. Au mytérieux rêve de Pauline, la vielle voyante n'avait pas daigné  donner d'interprétation. Non. D'un ton péremptoire, Mama Lokossoué avait plutôt annoncé de but en blanc la suite du programme. Un bain de nuit en mer ! Mais avant cela, Mama Lokossoué avait dû remercier l'étrange femme du rêve de Pauline.  A cet effet,  des sacrifices avaient été fait. Pour couvrir les frais de tout ça, Pauline avait dû mettre la main à la poche. La note s'était avérée très salée. A la vielle voyante, l'enseignante de collège avait remis pas moins de l'équivalant du tiers de son salaire mensuel. Comme si cela ne suffisait pas, Lokossoué avait aussi exigé un de ses dessous sales.

— Pour quoi faire encore ? s'était énervée Pauline.

— C'est pour la préparation du philtre d'amour, lui avait-elle expliqué.

N'en pouvant plus, Pauline avait perdu patience.

— Quel philtre d'amour ? s'était-elle emportée. La pierre, les sacrifices, le bain de mer, tout cela, ça ne suffit pas ? Il faut en plus que je donne mon slip ?

Pour la calmer, il avait une fois encore fallu l'intervention de sa jeune voisine. Face à son anxiété, Coralie fidèle à son rôle l'avait  rassuré.

— Tu voulais connaître le secret de mon succès auprès des hommes ? Ben c'est ça ! Pour attraper ton homme, il faut impérativement que mama te prépare ce philtre.

De mauvaise grâce, Pauline avait fini par céder. Séance tenante, elle avait ôté son dessous qu'elle avait remis à la vielle. Pour le bain de nuit aussi, elle s'était pliée sans protester. Elle n'avait pas eu le courage d'en faire autrement. Après tout, elle n'avait pas le choix. Si elle voulait vraiment obtenir ce qu'elle désirait tant, elle n'avait pas à faire de manière. 
En soirée, Pauline était donc revenue. Accompagnée de sa voisine Coralie, elles avaient retrouvé mama Lokossoué. Ensemble, les trois avaient attendues. A minuit pile,  elles s'étaient toutes mises en route. Direction la mer.
Mise ainsi au pied du mur, Pauline était pressée d'en finir. Dans l'eau glacée, elle n'hésita que quelques secondes à plonger. La fraîcheur qui parut lui transpercer la peau la fit crier, grimacer et jurer. Puis, elle se força à avancer. Luttant contre les vagues, elle marcha jusqu'à Mama Lokossoué. Par les bras tendus, la vielle voyante la saisit.
Commença alors la fameuse purification. Une poignée de feuilles d'arbres en main, Lokossoué lava Pauline. Le visage dépourvu de toute émotion, la vielle voyante s'appliqua à la tâche. Machinalement, elle entreprit de frotter Pauline. La tête, les jambes, les pieds, Mama Lokossoué n'oublia aucune partie de l'anatomie de celle-ci. Tout en lui frictionnant  la peau, elle parlait.
En dialecte, elle s'exprimait. Mais aucun de ses mystérieux mots ne s'adressaient  à Pauline. Lokossoué parlait à ses génies. Qu'est-ce qu'elle leur disait ? Pauline l'ignorait et le savoir à cet instant précis était le cadet de ses soucis. Pauline avait trop froid. Elle grelottait. Dans l'eau, elle peinait à garder l'équilibre. Plusieurs fois, elle trébucha. A chaque fois, la vielle Lokossoué la relevait et reprenait sa besogne. Combien de temps dura le mystérieux supplice ? Quelques minutes, voir plus ? Pauline n'aurait su le dire. Mais en tout cas, une fois celui-ci achevé, la jeune femme fut plus que soulagée. Hébété, elle se dépêcha de regagner la terre ferme. Coralie qui l'attendait lui tendit une serviette.

— Alors ? lui demanda t-elle visiblement excitée. Comment te sens tu ? Tu te sens mieux n'est-ce pas ? Plus différente pas vrai ?

Différente ? En se séchant vigoureusement, Pauline réfléchit à la question. Intérieurement, elle s'analysa. En elle, elle essaya de détecter le moindre changement. Ressentait-elle une sensation particulière ? Pas vraiment. A part le froid, les yeux qui  piquaient et la confusion de se savoir à poil sur cette plage déserte, Pauline se sentait tout à fait normal. Mais face à Coralie qui semblait attendre une confirmation, Pauline préféra mentir.

— Oui tu as raison, je me sens différente.

— Et ce n'est que le début, intervint mama Lokossoué qui lui brandit au nez une petite fiole contenant un liquide incolore. Avec ça, tout ira encore de mieux en mieux.

— Qu'est-ce que c'est ? s'enquit Pauline intriguée.

— Ça ? répondit la vielle voyante en agitant la petite fiole. Ça ma fille, c'est  le philtre que je t'ai préparé. Avec ça, aucun homme ne sera capable de te rendre résister.

Pauline était émerveillée. Au fond de ses yeux, brillait une lueur d'intense convoitise. Sans pouvoir s'expliquer comment ni pourquoi, elle se sentait étrangement soulagée. La solution tant recherchée à son problème, elle la détenait enfin. Dans cette petite bouteille, dans ce liquide incolore.m se tenait son avenir, sa destinée, son bonheur. Ivre de joie, Pauline arracha le fameux philtre des mains de Mama Lokossoué. Avec curiosité, elle tourna et retourna la petite bouteille. L'esprit ailleurs, elle n'écouta que d'une oreille distraite les précieuses recommandations de la vielle voyante.

— C'est un filtre à utiliser avec une grande précaution. Chaque matin, mets en juste quelques gouttes sous les oreilles. Pas plus. Et surtout pas la nuit.

Distraite, Pauline ne prit même pas la peine de répondre. Alors Mama Lokossoué se sentit obligée d' insister.

—  Tu as bien compris  ?

— Oui, oui ! fit impatiemment Pauline. Juste quelques gouttes sous l'oreille...

— Seleument les matins, précisa à nouveau la voyante. Jamais le soir. C'est entendu ?

Hochant la tête, Pauline acquièsça. Résistant à l'envie d'essayer le puissant philtre sur le champ, Pauline se résigna à le ranger bien à l'abris dans son sac à main. Ensuite, elle  se rhabilla en quatrième vitesse. C'est la tête pleine des rêves que ce nouveau remède pouvait apporter à sa vie que Pauline quitta la plage en espérant ne plus jamais y mettre les pieds de toute sa vie.