Chapitre 2 : Ce dieu

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La poignée de fer crissa légèrement alors qu'on l'avait saisie pour enfin la tourner. La porte de bois s'ouvra alors sur une petite antre, bien plus modeste que toute la modestie dont peut faire preuve les plus modestes d'entre-eux. C'était une seule grande pièce, froide, humide.

Quelques herbes pendaient par-dessus un petit espace aménagé, probablement pour y cuisiner, préparer des plats. Pas bien loin, il y avait quelques pauvres petites étagères, visiblement bricolées par les moyens du bord, quelques objets et livres y trônaient. Ceux-ci étaient un peu miteux, mal entretenus, sales, parfois même rongés par l'humidité.

Enfin, il y avait des couchettes, ingénieusement rangées comme des étagères que l'on pouvait baisser, tirer, installer sans devoir tout déménager. On pouvait y voir que divers draps, usés pour la plupart, et objets de grande valeur sentimentale trônaient par-dessus, attendant d'être saisis pour qu'on déplie soigneusement le lit, pour enfin s'allonger et s'endormir à leur côté.

C'est dans cette ambiance boisée, miteuse, mais pourtant chargée de souvenirs et de vie qu'une petite famille entra. Un homme en premier, grand, forgé par le travail. Un bûcheron, sa carrure et la hache dans ses mains ne trompent pas. Il était en sueur, mais restait un assez bel homme malgré tout. Il posa calmement son outil près de la porte, avant de retirer sa chemise et s'asseoir sur une petite chaise, se trouvant près d'un âtre, au fond de la pièce, juste à côté de ce qui servait de cuisine.

Enfin, une vieille dame, ainsi qu'une petite fille qu'elle tenait par la main, entrèrent à sa suite. Celles-ci contrastaient fortement avec l'homme. Elles semblaient propres, comme fraîchement lavées, et semblaient bien fort maigres. La vieille dame baissa sa capuche, alors qu'elle lâchait sa petite fille qui fonça sans attendre vers sa couchette, qu'elle déplia soigneusement.

Il faisait en effet déjà sombre, les quelques faibles rayons de lumière du jour terminaient silencieusement de caresser l'intérieur de la petite hutte. Désormais, cette faible lueur laissait sa place aux bougies, qui se faisaient allumer par la vieille dame. Une cérémonie presque religieuse tant elle apportait un soin à sa tâche, en silence.

Enfin, quand tout fût allumé, que le repas était mangé, et que le père partit se laver dans la rivière non loin, la vieille dame coucha la petite. Cette dernière ne voulut pas dormir de si tôt, non. Non, elle désirait entendre encore ces douces histoires que lui comptait la vieille dame, qu'elle appelait Grand-Mère.

Grand-mère souria tendrement, elle en souffla même du nez, comme face à une douce routine qui illumine à chaque fois ses fins de journée. C'était d'ailleurs le cas, ce petit caprice était systématique. Le soir, quand son père se lavait, c'était l'heure des histoires de sa grand-mère.

La petite fille pointa immédiatement le petit meuble bricolé, notamment un grand livre qui y trônait. Mais la grand-mère secoua la tête.

"Cette fois-ci, je dois te raconter une histoire que je garde depuis des années. Je la tiens de ma mère, et elle de sa mère, elle-même de sa propre mère avant moi. Tu es assez grande pour écouter cette légende", dit-elle tendrement, presque comme un murmure, près des oreilles de la petite fille.

"Dans le monde, il existe des hommes, des femmes, des enfants. Ils sont tous différents, possèdent tous leurs propres facultés. Certains cultivent, pour qu'on ait tous à manger, d'autre construisent pour que tu puisses être protégée de l'extérieur, d'autres encore se battent pour que tu puisses êtres en sécurité, mais certains, plus rares, gouvernent pour que tu puisses grandir sereinement sans te soucier du monde dans lequel tu vis.

Enfin, il existe ces êtres légendaires, dont on fantasme l'existence. Ces êtres peuvent être parfois "cet" être. Certains les adulent, les adorent, en fondent des cultes, y croient secrètement. D'autres encore, les nient, chassent, et combattent ceux qui croient en eux. Enfin, il existe ceux qui les connaissent, mais gardent leur existence cachée, secrète, comme si nous n'avons pas à les connaître, à en savoir plus sur eux, pour garder le secret et le fantasme de leur existence. Pour nous permettre de rêver.

On leur donne différents noms, des noms parfois imprononçables, parfois clair et annonciateur, parfois on les nomme mais nous ne pouvons les prononcer, ce serait sacrilège. Qu'on les adore ou qu'on les craigne, tous apportent un message, une valeur, une idée aux gens. Aux mortels que nous sommes. Ces êtres peuvent être ce qu'on appelle des dieux.

Des êtres intemporels, immuables, immortels, parfois invincibles. Ils transcendent les époques, les lieux, les civilisations, les pensées. Ils possèdent des facultés incroyables, pouvant modeler la terre, les continents, des royaumes entiers. Certains disent même qu'ils influencent le monde, afin qu'il tourne comme ils souhaitent, d'autres encore pensent que les conflits naissent des conflits entre eux, que nous autres, nous ne faisons que les suivre, leur servant d'outil.

Chez nous, nous pensons qu'il en existe tout autant qu'il peut exister d'hommes, de femmes et d'enfants différents. Qu'ils possèdent tous leurs qualités, leurs défauts, leurs facultés, propres à eux-mêmes. On pense qu'au final, ils sont comme nous, seulement, leur seule différence avec nous autres, c'est leur existence incroyable.

On pense d'ailleurs que l'un d'entre eux vit proche de nous, dans la forêt quelque part. Il est arrivé des choses étranges, des histoires inexplicables à de nombreuses reprises. Des enfants disparus qui réapparaissent sans souvenir, des forêt qui grandissent d'un coup, des récoltes détruites qui soudainement reviennent à la vie, des incendie qui s'éteignent à peine ont-ils commencé, une silhouette qui se baladerait dans les rues sans que personne ne puisse la reconnaître.

Personne ne l'a encore nommé, mais tous ici le connaissent, surtout les femmes. Pour une étrange raison, la plupart des hommes le jalousent, ton père le premier. Car au lieu de chanter la force de nos hommes, nous chantons en secret des prières à cet être inconnu qui nous garde et veille sur nous.

Bien sûr, il existe certaines rumeurs qui disent que c'est un ancien prince de ce pays qui, après avoir atteint une grande sagesse et un grand pouvoir, aurait transcendé son humanité. Et que malgré les violences qu'il aurait reçu, après avoir été traité de monstre, il a décidé de continuer malgré tout à veiller sur nous, à nous permettre de grandir, de s'épanouir.

C'est notre gardien, ce dieu que nous saluons secrètement. Puisse-t-il un jour savoir que nous l'aimons."

Alors que la vieille dame terminait son histoire, un silhouette se tenait près de la fenêtre. Les lueurs des bougies à l'intérieur l'éclairèrent d'ailleurs faiblement. On pouvait alors distinguer une seule et unique chose, qui se démarquait de manière flagrante des ténèbres de dehors : un sourire, large, rayonnant. Les lèvres se déformèrent ensuite, formant des mots qu'on ne pût entendre, avant de disparaître.

Êtres et histoires légendaires du Monde-RêveWhere stories live. Discover now