Les émois d'Aphrodite

Apollon & Hyacinthe

- Comment est-ce, exactement, d'être un dieu?

Apollon baissa les yeux sur le beau jeune homme dont le visage était posé sur ses genoux, observant la cité de Sparte qui s'étendait au bas de la colline.

- Toi, d'abord, réponds-moi : comment est-ce, d'être un Homme?
Hyacinthe laissa échapper un très léger soupir, répondant sans hésiter.

- C'est éprouvant. Il nous faut travailler chaque jour, de nos mains si nous sommes paysan ou artisan, de notre esprit si nous sommes prince. La seule consolation que nous pouvons éprouver et l'espérance de trouver le repos aux Champs-Elysées.

- Tu ne penses qu'aux maux de la vie. Que fais-tu des plaisirs?

- Les plaisirs sont éphémères, et le bonheur est luxe des inconscients.

- Dans ce cas, le travail l'est aussi, et il est luxe des capables et des érudits.

- Mais les plaisirs sont brefs. Manger un fruit, avoir un rêve agréable, cela ne dure qu'un instant. Tandis que travailler, cela dure si longtemps, et est si pénible, que les heures y semblent interminables... n'est-ce pas étrange, que le fardeau ressenti perdure bien plus longtemps que le bien-être?

Il ne connaissait que très peu de chose sur le fardeau - à part cette fois où il avait été mis en eslavage et forcé à construire ces maudits remparts de Troie, mais il en avait plus pris pour son ego qu'autre chose - cependant il lui répondit tout de même.

- C'est car les mortels veulent consommer ce plaisir au plus vite, et ne prennent pas le temps de s'en délecter. Mais toi, mon beau Hyacinthe, tu ne seras plus jamais obligé de travailler, ni de tes mains, ni te ton esprit. Car je me dévouerai à toi, simple mortel qui mérite la divinité. Oui, si je le pouvais, je te ferai prendre place parmi les dieux, et pour l'éternité tu pourras te prélasser dans la sérénité de l'Olympe.

Il aurait pu le remercier - c'est ce que tout mortel aurait fait - mais autre chose lui vint à l'esprit.

- Les dieux sont-ils si oisifs? Osa demander Hyacinthe d'un rire, car il savait bien que s'il ne s'agissait pas de son amant, cette question aurait pu être considérée comme une injure.

- Il est vrai que les jeux et les festins sont plutôt courants sur l'Olympe, sourit-il. Néanmoins, cela dépend. Zeus court toujours parmi ses maîtresses, et Hermès ne se repose jamais, mais Dionysos ne quitte jamais son fauteuil et son vin, et Aphrodite ne cesse d'exhiber son corps à qui voudra bien en être charmé.

- Elle est la plus belles de toutes. Toi qui ne résiste pas à une séduisante nymphe, comment fais-tu pour t'en détourner?

- Les nymphes ne me satisfont plus, avança-t-il pour cacher encore une fois son ego blessé, et même si Aphrodite est la plus charmante, je la sais aussi sotte et arrogante. Je t'ai trouvé, et tu m'as attendris, car tu vaux bien plus que ces prétentieuses, mon amour, autant par ta beauté, que par ton esprit et la pureté de ton âme.

- Comment mon âme peut-elle être si pure, avec toutes les pensées impures qui m'ont traversé l'esprit?

- Ces pensées-là ne déteignent pas toujours sur ton cœur. Tous comme tes actes. Sinon, comment des Hommes avec autant d'infidélités et de sang sur les mains pourraient-il atteindre les Champs-Élysées?

Hyacinthe resta silencieux, ne sachant comment répondre à cette question. Les jugements des dieux étaient bien compliqués.

- Lorsque j'y serai... pourrai-je t'y revoir?

Le dieu fit une légère moue, refusant de lui répondre par la négative.

- Tu n'y seras jamais, car avant je ferai de toi une divinité, et tu me seras attaché à jamais.

- Tu te lasseras de moi... rit-il.

- J'ai connu des mortels naïfs, qui sont devenus des sages, et qui jusqu'à leur mort ne m'ont jamais lassé. Toi que j'aime et à qui j'offrirais les rayons du Soleil et les plus beaux vers de Calliope, tu auras toujours ma plus profonde attention.

Pour prouver que ses paroles étaient bien sincères, il se pencha sur lui et déposa un doux baiser sur ses lèvres.

Il lui appartenait à présent, et si leur nature ne pouvait les séparer, alors rien d'autre ne le pourrait.