Circée et Télémaque 2

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La bibliothèque était immense. L'on pouvait même dire qu'elle était infinie. Des étagères montant jusqu'au ciel étaient remplies de papyrus et de tablettes d'un ancien temps. Mais pas que. Car cette bibliothèque était aussi une bibliothèque des esprits ; chacun des objets déposés ça et là étaient porteurs de souvenirs et de savoirs.

D'un geste hésitant, Télémaque avança sa main vers un médaillon. Un signe qu'il ne reconnut pas y était  inscrit, et il ne sût pourquoi, il était attiré par ce bijoux. C'était comme s'il l'appelait, comme s'il pouvait répondre à sa question.

Mais avant qu'il ne puisse l'atteindre, la porte s'ouvrit dans un éclat, et l'en fit se détourner.

- Que fais-tu ici?!

Il toisa la magicienne du regard. Elle était magnifique, comme toujours. Ses cheveux d'un blond doré étaient décorés par des pierres précieuses, et tenus en arrière par un diadème argenté. Elle portait une robe rouge vif, si longue qu'elle s'étendait à une centaine de mètres derrière elle. Elle ne couvrait pas l'entièreté de son corps, au contraire même ; son haut attaché par une fibule seule au centre de ses clavicules laissait transparaître le haut de sa poitrine généreuse, et sa taille fine était mise en valeur par une ceinture d'or, qui loin d'emplir sa fonction, laissait le vêtement relâché au point que l'on pouvait voir son corps entier si elle se positionnait de profil.

Il déglutit, et posa les yeux sur son visage stricte et pourtant si élégant, tandis qu'elle s'approchait de lui à pas vifs.

- Excusez-moi, je... je voulais...

- Tu sais très bien que j'interdis à quiconque de pénétrer en ces lieux! Tu crois échapper à cela!?

D'un geste brusque, elle lui attrapa le poignet, ce qui le fit frémir, et le tira jusque hors de la pièce. Une fois dans le couloir, elle le lâcha et lui fit face, les flammes dans les yeux.

- Puis-je savoir pour quelle raison t'es-tu permis de pénétrer dans ce lieu sacré?!

Il fuya son regard, incapable de lui faire face.

- Je voulais seulement savoir... ce que devenait ma mère. Depuis que je suis ici je n'ai plus de nouvelles. Je me suis dit qu'ici... peut-être... puisqu'il y a en ces lieux toutes les connaissances...

- Rien ne sort ni n'entre en ces terres sans mon accord ; même les informations. Et des nouvelles de cette femme pourraient trop t'occuper l'esprit. Tu m'as été donné, et tu dois oublier ta vie d'antan.

- Vous êtes... dure avec moi, osa-t-il avouer.

Elle fronça les sourcils.

- Dure? Au contraire, je suis des plus généreuses! Ici tu as tout ce que tu souhaites, et ne connais plus la tristesse et tous les maux des Hommes. Je te protège des vices des mortels. Ta mère est restée à Ithaque, et pleure son mari et son fils disparu. Elle a été, mais n'est plus rien. Avec moi, tu ne connaîtras pas le même sort. Je connais les plus puissants sortilèges, ceux qui font oublier les douloureux souvenirs et que recherchent tant de mortels. Peut-être en userai-je sur toi, si tu demeures si attaché à ton pitoyable passé.

Télémaque fixait maintenant le sol de marbre, sans voix.

- N'es-tu pas heureux ici? Dit-elle d'une voix pinçante, en tentant néanmoins d'être compréhensive, paradoxalement.

- Je le suis. Et vous êtes si belle et puissante, que je ne peux que vous aimer. Mais ma patrie et ma mère me manquent. J'ai pour elles une affection ancrée en mon cœur.

- Quelles sottises! Les mortels sont bien faibles!

- N'avez-vous jamais aimé?

Elle le fixa un court instant en silence.

- Je foule cette terre depuis des millénaires. J'ai connu bien plus que n'importe quel autre de tes semblables. Je connais tout, je sais tout, et je sais ce qu'est l'amour.

Il acquiesça.

- Et que je ne te reprenne plus à d'approcher de cette pièce. la Connaissance n'est pas à la portée de tous, et certains sont voués à demeurer dans l'ignorance.

À ces mots elle lui tourna le dos, faisant voler son habit d'un geste.

Elle ne fit que quelques pas, et ouvrit une porte, qui présenta une vaste pièce. Son sol était couvert de tapis et de coussins de toutes couleurs. Télémaque l'y suivit, semblant à présent réfléchir.

- Vous avez évoqué mon père. Pourquoi l'avoir laissé se faire tuer?

Elle se retourna vers lui, et eut envie de rire.

- Bien que je ne m'y refuserais pas, je ne prépare pas les sorts des mortels. Si ton père est mort ainsi c'est que tel était son destin.

- Pourquoi n'aviez-vous pas fait une description de notre père à vos fils, afin qu'il le reconnaisse et évite son meurtre? Ou utiliser quelque magie dont vous êtes savante?

- Cette magie ne s'utilise pas à la légère! Ulysse est au royaume d'Hadès à présent. Probablement aux Champs Elysées, à boire avec ses frères d'armes. Accepte-le.

- Je l'accepte, mais... mais pourquoi votre fils? Il aurait pu mourir au combat, ou en mer, dignement... Est-ce un tour des dieux? Le grand Poséidon avait-il encore de la rancœur?

- Ce dieu irascible n'y est pour rien.

- Alors qu'est-ce?

Elle se retourna et se mit dos à lui. Cette fois c'était elle qui ne pouvait lui faire face. Elle prit une grande inspiration, et garda un visage ferme.

- En vérité, je suis la seule fautive. Je te voulais pour moi seule. Un rapt aurait été mal vu, et les dieux m'auraient sanctionné. Cet enfant que j'ai eu de ton père, j'en avais honte. Il me rappelait un moment de faiblesse, un moment où je n'avais pu résister à un simple homme ; Je m'en suis servie comme vengeance. Je ne lui ai cependant rien dit de ce qu'il devait faire, j'avais seulement un mauvais pressentiment, et ai laissé son sort et celui de ton père au choix des dieux. Il m'ont été favorables car il m'ont offert les deux choses que je souhaitais. Ma vengeance et le plus beau et pur des mortels, devançant à mes yeux de loin Pâris.

- Que... voulez-vous dire?

Elle inspira, toujours sans se retourner.

- Tu as un cœur pur, Télémaque. Tu as grandi en temps de guerre, et pourtant ton enfance n'aurait pu être plus paisible. Tu as la beauté d'un dieu, le courage d'un guerrier, la grâce d'une nymphe et la compagnie agréable d'une muse. Je pourrais te rendre immortel, je pourrais, oui... mais je ne suis pas sotte au point d'encourir la colère des dieux par amour.

Elle n'entendit d'abord aucune réponse. Puis elle l'entendit s'approcher, et fut prise de surprise lorsqu'il l'enlaça.

- Pardonnez mon mauvais comportement. J'ai mal agi, et je sais à présent que je ne dois faire confiance qu'à vous. Vous êtes puissante et sage, vous seule savez ce qui est bon pour moi.

Elle afficha un léger sourire. Mais tout de même, elle ne se montrera plus faible ainsi.

Les émois d'AphroditeWhere stories live. Discover now