Chapitre 4

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Le 28 Décembre 1853, dans la forêt d'Arklay à l'ouest de la province de Danton, Duncan Hamilton, physique robuste, physionomie rude et la quarantaine bien sonnée, terminait d'empiler dans la remise de son chalet le bois qu'il venait d'abattre en prévision du rude hiver qui commençait à poindre, depuis que de glaciales rafales venant de l'Est cinglaient chaque jour avec un peu peu plus de véhémence, faisant quelque fois trembler sous leur courroux la robuste charpente de bois de l'édifice.

Sa besogne terminée, il rejoignit son ermitage ou un feu de cheminée réconfortant l'accueillit, crépitant, exhalant cette odeur caractéristique de souffre qu'il aimait tant. Enveloppé d'une chaleur sécurisante, il se plaisait à contempler les flammes danser, nimbant le parquet et les vieux meubles en chêne massif de leur irisations ocres et carmin. Le bruit de l'eau en train de bouillir l'arracha de sa contemplation et il retira sa théière du feu. Il versa son contenu dans le gobelet de bois qui trônait sur une petite table en épicéa et agrémenta de quelques branches de thym. Il ingurgita une petite gorgée brûlante de son infusion et le liquide chaud, escorté par l'exquise chaleur des flammes de l'âtre, se répandit en lui en une harmonieuse sensation de sérénité et d'apaisement. Il émit presque malgré lui un soupir de soulagement en s'affalant sur le fauteuil rapiécé jouxtant la petite table en épicéa.

La vie dans cette vielle bicoque n'était pas si mauvaise, si on excluait cet affreux astre qui flottait dans le ciel hivernal et les calamités qui rodaient dehors, pensa-t-il. Il savait en son for intérieur qu'en raison de ces dernières, cette vie confortable de réclusion secrète finirait par prendre un terme un jour ou l'autre. Il deviendrait trop vieux et ne pourrait alors plus repousser les incessants assauts des hordes malignes qui lui disputaient son gibier lorsqu'il partait en chasse. Dans ses plus extravagantes espérances, il s'imaginait finir ses jours d'une mort digne et naturelle, paisiblement assis sur son fauteuil fétiche, au coin du feu, mais il savait cette possibilité-là moins probable.

Il s'enfonçait pesamment dans ses songes lorsqu'il fut alerté par le claquement strident des cylindres métalliques qu'il avait fixé à quelques-uns de ses pièges et qui lui servaient à détecter toute intrusion sur son domaine. Sûrement un de ces foutus démons, se dit-il. Il avait l'habitude que quelque unes de ces infâmes créatures, au prix d'un malheureux hasard, se prennent parfois dans ses filets. Il se dépêcherait de récupérer le cadavre et de l'entasser avec les autres dans la fosse qu'il avait creusé à l'arrière de la remise. Le laisser sur place aurait pu alerter les autres de sa présence dans les environs et c'était un risque qu'il se gardait de prendre. Il enfila aussitôt un solide manteau en daim doublé de peau de lapin, se munit d'une lampe à huile et sortit en grommelant : « Me faire sortir par ce froid...Par tous les saints ! Ces vaunéants auraient pu choisir leur moment ! »

Plus que le froid, tout ce qui perturbait sa routine quotidienne de manière impromptue l'irritait encore plus. Il s'imaginait trouver la carcasse impie raidie par la mort et par le froid, la gueule ouverte, toute dents dehors, ses yeux écarlates exorbités, un air presque étonné peint sur les traits. Comme si la créature avait à peine eu le temps de saisir ce qui lui arrivait. Il devrait alors se saisir du corps et la simple idée d'effleurer cette peau grisâtre, luisante et membraneuse l'écœurait. Bien sûr, il l'avait mainte fois fait mais curieusement, même après toute ces années, il ne parvenait toujours pas à s'y accoutumer.

Le vent bruissait à travers les conifères qui dégageait une odeur âcre et résineuse, répandant sûr son perron un tapis d'aiguilles noires. Dépassant les plus hautes cimes, Lilith distillait à travers l'épais massif forestier de minces raies pourpres qui s'infiltraient entre les pins comme un poison insidieux. Il marcha sous cette lune de grenat jusqu'à ce qu'il aperçoive la petite branche de pin incurvée qu'il avait taillé en pointe pour retenir le mince fil d'acier. Elle avait cédé. Pas de doute, le piège avait fonctionné. Quelques pas plus loin, gisait une frêle silhouette blanche, sans doute projetée par la puissance du choc. Il s'avança, instinctivement conscient que quelque chose était différent cette fois-ci et il découvrit à la lueur de sa lampe, une jeune femme inconsciente étendue sur le sol, sa longue chevelure aux reflets d'argent, parsemée de débris d'écorce et de feuilles mortes, se répandant nonchalamment sur l'humus.

Il resta pétrifié devant la beauté de cette créature au corps d'albâtre, maculée de boue. Il la contempla un long moment et sans qu'il s'en rende compte, un brusque afflux de sang vint raidir son bas-ventre. Il réalisa alors à quel point la présence d'une femme avait manqué à sa vie d'ermite solitaire, ne serait-ce que pour pourvoir à ses pulsions qui n'avaient jamais réellement été assouvies. Mais des raisons qu'il savait suffisamment justes l'avaient poussé à ne jamais s'être entouré de personne. En observant la jeune femme plus attentivement, Il aperçut les larges plaques de sang coagulé qui couvraient son front et crut bien, l'espace d'un instant, qu'elle était perdue avant de se rendre compte que la petite cage thoracique s'élevait et s'affaissait, faiblement mais à un rythme régulier.

À moins d'être une nymphe ou une quelconque autre divinité de la nature, ce dont il doutait fort, il ne voyait pas pourquoi une si frêle créature irait se perdre dans ces bois, surtout lorsqu'un danger si grand rodait dehors. Ce qui l'interrogeait encore plus, c'était la nudité de la jeune femme. Comment aurait-elle pu survivre à un tel froid dans ce plus simple appareil ? Tous ces signes lui indiquaient clairement qu'il n'était pas en présence d'une humaine ordinaire. Une pensée fugitive traversa alors son esprit. Celle de l'achever incontinent, tant qu'il en était encore temps. Il avait par expérience pu constater que les démons, dans leur disparité singulière, pouvaient parfois revêtir de bien trompeuses apparences. Il craignait que ses sens ne le bernent et que la soudaine pitié mêlée d'émerveillement qu'il éprouvait face à cette beauté endormie, ne le mène à sa propre perte.

Puis la vision des orcanètes enchantées qu'il avait fait pousser autour du chalet, qui déployaient avec leur quintuples pétales bleu royal, une barrière exorcisante puissante, s'imposa à lui, comme pour freiner son geste. Si cette femme n'était pas un démon, alors elle passerait l'enceinte sacrée sans difficulté. Cette pensée en tête, il la souleva promptement et la fit basculer sur son épaule avec autant d'aisance que s'il s'était s'agit d'un simple sac de grains.  

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⏰ Недавно обновлено: Oct 23, 2023 ⏰

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