Souvenirs de Quiberon

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J'étais fasciné par l'action de se raser ; alors un jour à l'âge de quatre ans, j'ai pris le rasoir de mon père, et j'ai essayé de me raser le menton.

On avait une petite maison rue du Port-Aliguen. Y'avait un Casino au bout de la rue. J'aimais bien ce Casino, parce que le logo, c'était une immense marguerite. Quand on a déménagé, ils l'ont remplacé par un Géant. Mais je crois qu'ils ont gardé la Marguerite. A l'autre bout de la rue, il y avait un minuscule parc ; s'y trouvaient une mare, et un énorme tuyau en béton. Ma grande passion, c'était de nourrir les canards. Tous les week-ends, j'allais voir ma mère en la suppliant : « Maman, maman ! On va à la mare aux canards ! »

On récupérait le pain rassis et on leur donnait. Le grand tuyau en béton, je sais pas d'où il sortait. Je pense qu'aujourd'hui, il me paraîtrait bien petit. Il était lisse à l'intérieur, et recouvert de graffitis. J'y faisais du tricycle ; j'avais un petit tricycle bleu, avec une inscription sur le côté. Je fonçais à travers le tunnel en riant et criant, à la fois amusé et terrifié par ce grand tube de béton qui m'aspirait.

Quiberon était une Presqu'île ; elle s'avançait dans l'Océan Atlantique, bravant en deux le Golfe du Morbihan. Les jours de beau temps, on pouvait apercevoir Belle-île-en-Mer. C'était une île au large de Quiberon, sur laquelle se trouvait un très vieux fort de l'armée navale.

Cependant, avant d'aller sur l'île, il fallait prendre le bateau. Le bateau de Belle-Île. J'avais une fascination inexplicable pour ce navire. Ma mère, qui avait pris des congés maternité pendant les cinq premières années de ma vie, m'amenait à la plage ; elle bronzait ou lisait ; je construisais des châteaux de sable. Soudain, le son de la corne de brume du bateau de Belle-Île résonnait. Un son grave et puissant, qui sonnait trois fois ; lors de son entrée dans le port, lorsqu'il était à quai, et lorsqu'il était enfin amarré et que les gens pouvaient en descendre. Dès que le bruit se faisait entendre, je lâchais pelles et râteaux, et courait vers ma mère en criant « Le bateau d'Belle-Île ! C'est l'bateau d'Belle-Île ! »

Elle me regardait, amusée, se levait, me prenait dans ses bras, et nous regardions la foule de gens descendre du bateau. Très vite, mon attention s'en détournait, et je retournais vaquer à mes occupations, pour n'être perturbé à nouveau que lorsque la corne soufflait à nouveau. Cette-fois ci ma mère ne me portait pas dans ses bras, mais elle constatait toujours, amusée, avec une pointe de curiosité, son fils qui perdait tout sens commun au son et à la vue de ce simple navire.

En face de l'école, quelqu'un avait fait une immense fresque très bien faite de Gollum en train de faire du surf. A vrai dire, elle me faisait un peu peur, à l'époque, cette fresque. Au milieu de la cour, il y avait des jeux pour enfants somme toute classiques : toboggan, cabanes...

La vraie attraction des récréations, dans cette école, c'était lors de la pause du midi, lorsque les professeurs sortaient les tricycles, vélos à deux ou trois places et autres échasses. Je retrouvais alors ma première grande sœur, Dalva, à peine deux ans de plus que moi, et la conduisait à travers la cour, fier d'être le chauffeur attitré de cette femme que j'admirais plus que tout. Pour ce qui était des échasses, je n'ai jamais réussi à faire plus de deux pas d'affilé avec sans me casser la gueule.

De mes cours, je ne me souviens que de quatre choses : mon professeur, une année, s'appelait François-Xavier ; il nous avait aidé à construire une gigantesque Tour Eiffel en Kapla, en haut de laquelle il avait placé une ampoule, qu'il avait allumé sous nos yeux ébahis ; ses ateliers culinaires à base de thon qui sont sans doute ce qui m'a très vite dégoûté de la plupart des plats à base de poisson ; et ses sorties pour observer la faune marine à marée basse. On a tendance à sous-estimer, dans les écoles maternelles parisiennes, ce qu'on peut apprendre avec une paire de bottes et un ciré à observer les crabes et les crevettes grises à neuf heures du matin sous un ciel grisâtre. C'était la Bretagne quoi.

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