18. Ray.

31 10 3
                                    



Je ne pourrais pas sentir plus mal la situation. Queen s'installe au volant en un geste rageur. Il pue la colère et l'envie de tout fracasser. Le calme qu'il laisse paraître est aussi fragile que sa détermination à se contrôler. Il a horreur de ça.

— Putain on va devoir se coltiner cette folle, râle-t-il en démarrant.

— Elle n'est pas folle, juste suffisamment au clair avec ce qu'elle sait et ce qu'elle peut transmettre. Elle n'est pas ce qu'elle est pour rien.

— Ne la défends pas ! C'est une criminelle dont la Hiérarchie autorise les crimes.

— Laisse-moi rire ! C'est exactement ce qu'elle t'octroie aussi.

Il ronchonne et je jette un coup d'œil dans le rétroviseur extérieur pour apercevoir Téha assise derrière moi.

— C'est quoi la Hiérarchie ? demande-t-elle en se postant entre nos deux sièges.

Queen lui jette un rapide coup d'œil avant de me faire l'œillade qui me défiait de répondre à cette question. Je mourrais d'envie d'expliquer à mon amie tout ce qu'elle désirait savoir. Mais mon serment m'en empêche et c'est pas faute d'avoir demandé à m'en défaire.

" Pas encore " souffle la voix du Maître dans mon crâne.

"Quand ? Elle ne vous entend pas et le temps presse. " je lui réponds d'un ton un peu trop hargneux.

Je n'aime pas m'élever contre le Maître, ses tendances punitives sont trop féroces et douloureuses pour réitérer une rébellion. Il n'y a que Queen que ça ne dérange pas. Il est trop fou pour s'en soucier. Il aime avoir mal et souffrir. Le Maître m'a dit un jour que la vie de Queen est une souffrance permanente et que c'était pour ça qu'il ne trouvait de plaisir uniquement en déversant la souffrance sur les autres. Je connais son histoire et je peux comprendre l'errance et la solitude qui peuvent lui peser depuis tant d'années. Je comprends trop bien cette douleur vive qui empoisonne son esprit et ses agissement. Le drame de sa vie, son passé et ce qui l'a construit. Une paix intérieure qu'il ne ressentira jamais.

Je soupire et m'appuie contre la portière. Quelle est ma vie à moi ? Des siècles à obéir à des ordres et revenir de mission avec réussite sous peine de punition. Assigné à surveiller des créatures des plus viles aux plus inoffensives jusqu'à l'ultime devoir. Éduquer une enfant pas comme les autres. Une enfant au-dessus de tous les autres, même du Maître.

— Je pourrais avoir une réponse les gars ? redemande Téha en m'envoyant un petit coup sur l'épaule.

— Je ne peux pas, je sors seulement sur un ton qui j'espère la convainc de retourner s'asseoir au fond de son siège.

Elle ricane, mauvaise, se décale vivement en arrière et je l'aperçois croiser les bras sur son ventre dans le rétroviseur.

— J'imagine que c'est ce foutu serment ?

— T'as tout compris petite chatte, fait simplement Queen.

Je reporte mon attention sur la route et ce dernier serre de près la voiture de Dimitri. Il ne peut pas s'empêcher de les emmerder coûte que coûte ! Il sait pertinemment qu'un Nagga ne laisse jamais passer une offense pareille. Je relâche un soupire devant l'intérêt particulier de mon binôme pour chercher les embrouilles dans n'importe quelle circonstance.

Après une bonne demi-heure, Dimitri s'engage devant une résidence à East Milton. Un homme en sort et je reconnais Zaïan à sa longue touffe de dreadlocks et son teint blafard sur sa peau de metis. Queen se gare près de lui, juste au moment où la cheffe de clan apparaît sur le perron de sa maison.

Mon binôme claque la langue contre son palais et Calamity comme l'aime à l'appeler Téha, jappe.

— Petite chatte quoi que cette femme te propose, n'avale rien que moi ou Ray ne t'ait autorisé. C'est compris ?

Je dois bien reconnaître à ce fou qu'il a quelques bonnes recommandations. Même si je sais très bien que Téha lui sera redevable à un moment donné. Il ne donne jamais de conseil gratuitement lui non plus.

— Pourquoi ?

— C'est une empoisonneuse.

— Empoisonneuse ? Comme une sorcière ? Ça existe aussi les sorcières ?

Queen lève un sourcil, me jette un coup d'œil dépité et il ricane :

— Les sorcières ça existe ? Putain, tu te crois dans un de tes romans à la con ou quoi !

Je me tourne vers Téha et elle se renfrogne aussitôt en lui montrant son majeur bien droit. Je pouffe dans mon coin quand j'entends Queen gronder. J'aime quand mon amie a du répondant devant cette tête de nœud. Même si ce n'est pas très raisonnable d'exciter ce cinglé !

— C'est juste une empoisonneuse, rien de mystique ou de magique là-dedans.

— Mouais, ça sent le vécu. C'est presque un regret de ne pas y avoir assisté, cancane-t-elle pour l'asticoter encore un peu.

Je l'encouragerai bien, mais le Maître dans ma tête, me triture déjà l'esprit pour que je renonce à toute forme de stimulation de ce genre. C'est pas comme si cet abruti ne le méritait pas. Bordel, il mériterait mille tourments de ce genre, anodins mais suffisants pour le rendre encore plus dingue.

— T'es aussi chiante que ta mère.

Ces mots suffisent à eux seuls, à étouffer toutes protestations et réparties de la part de Téha. Queen prend un malin plaisir de se repaître de ce sentiment puissant d'avoir eu le dernier mot. Je secoue la tête désespéré par leur attitude puérile.

— Allons-y. On nous attend, j'ordonne en ouvrant la portière.

Origines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant