48. Téha.

22 5 0
                                    

Le bruit apaisant de l'eau qui coule me réveille en douceur. Cette sensation que je ne suis pas seule est rassurante, mais pourtant une drôle d'inquiétude étreint mes entrailles. Je m'étire sur le dos et me rends compte que mes ailes ont disparu. Étonnamment je les regrette. Elles sont pourtant pesantes dans mon dos, mais elles ont ce petit quelque chose de fascinant et ma curiosité n'est pas tout à fait satisfaite. Je sors du lit, repousse mes cheveux en bataille pour faire le point sur l'étendu des dégâts que j'ai occasionné un peu plus tôt. Ma chambre a été nettoyé et plus un seul morceau de verre ne traîne sur le sol. Le tapis moelleux a disparu, les meubles remis sur pieds et seul le lit n'a pas bougé.

Je découvre sur l'un des chevets un petit miroir posé là, avec une trousse de maquillage et à son pied un sac noir que je ne reconnais pas. Est-ce Ray qui est rentré ? Je suis tentée de fouiller dans le sac mais le jet de la douche s'arrête. Je m'aperçois que je suis toujours torse nu et en short. Si Ray est bien dans la salle de bain, je ne peux pas l'accueillir ainsi. Je farfouille dans les draps défaits, en quête de mon haut, me rappelle que je l'ai déchiré et que c'est sous la protection de celui de Queen que je suis retourné dans ma chambre.

La porte de la salle de bain s'ouvre et je m'immobilise en attrapant in extremis un oreiller. Ma mère en sort les cheveux plaqués sur son crâne, le visage blafard, cernée et fatiguée. Elle est maigre et rien ne couvre ce fait, sous sa tenue habituelle. Jeans noirs et marcel blanc. Dans sa main droite pend sa paire de rangers et de l'autre une trousse de toilette. Elle s'arrête quand elle me voit et son aura triste se pare d'affolement.

Mon sentiment premier est la déception que ce ne soit pas Queen qui émerge de la salle de bain. Puis le second est la pitié. L'état physique de ma mère est inquiétant et me bouleverse plus que je ne voudrais jamais l'admettre.

— Queen avait besoin que quelqu'un surveille ta chambre durant son absence. Il m'a dit qu'il quitterait la pièce quand j'aurais fini ma douche... Mais je vois que cet abruti n'a pas attendu.

Je n'arrive pas à comprendre ce qu'elle fait ici. Je ne suis pas dupe, cette excuse n'est pas la vraie raison de sa présence. Je l'observe déposer ses affaires sur le sac noir puis se relever pour me faire face. Elle tord ses doigts entre eux et son malaise me prend de court.

— Téha... je comprends tous tes ressentiments vis-à-vis de moi, mais il faut que tu saches que je ne fais que suivre les ordres du Maître et du Chaman. Et je ne fais rien de gaîté de cœur... Loin de moi l'idée de te blesser plus davantage, que je ne le fais déjà.

Ma mère, s'excuser, c'est comme une bonne farce qui vous fait pleurer de rire. Moi, je n'ai plus envie de rire.

— Pas sûre que tu n'aies eu un cœur un jour. Ah, si peut-être le jour où Alban est né. Lui au moins peut se targuer d'avoir une mère qui l'aime.

Son aura dérape comme si on lui donnait un gros coup d'éponge dessus. De l'inquiétude, elle vire à la tristesse. Ce marron si disgracieux autour de son visage virginal ne lui va pas au teint. Et cela me vrille l'estomac de voir que mes mots la blessent vraiment. Elle qui d'habitude est si hermétique à mes sarcasmes, prend le tranchant acerbe de ma colère et laisse parler ses sentiments sans retenue.

Elle évite mon regard puis retourne à son sac pour y ranger sa trousse, me laissant tout juste le temps d'entrevoir ses yeux briller. Merde ! Est-ce qu'elle est en train de pleurer ? Je fais un pas vers elle, percluse de culpabilité, mais elle me coupe dans mon élan en se redressant. Elle chausse rapidement ses rangers délacées et envoie son sac sur son dos d'un geste souple avant de me faire face. Ses yeux sont rouges et ses paupières humides. D'une voix à peine maîtrisée elle dit :

— Prépare-toi, Aliah t'attend avec impatience pour te présenter au reste du clan.

Elle quitte la pièce sous mon regard incrédule. Pour la première fois de ma vie, je venais de faire la connaissance de la face sensible de ma mère. Une chose que je croyais inexistante chez elle. Mon cœur est si serré, que je réussis tout juste à reprendre mon souffle tant il est tordu dans ma poitrine. Ma gorge m'étrangle de honte. Je ne vaux peut-être pas mieux qu'elle finalement.

Origines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant