8. Téha.

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Nous nous installons chacune dans un fauteuil autour de la petite table du salon. Elle me tend une des deux tasses avant de prendre la sienne et de se rasseoir. Je l'observe à la dérobée tout en trempant mes lèvres dans le café. J'ai oublié qu'elle le fait assez fort, ce qui m'oblige à retenir une grimace. Elle ferme les yeux, appréciant sûrement le liquide glisser dans sa gorge. Puis elle les pose sur moi avant de prendre une grande aspiration

Je ne suis pas née en 1968 comme tu le penses.

Ah. Première nouvelle.

— Je suis née en 450, le 7 août 450 sur l'île d'Espérance.

Je reste interdite un instant et attends qu'elle me sourit en lâchant : c'est une blague ! Mais apparemment cela n'en est pas une, car aucune ombre de sourire se profile sur ses lèvres serrées. En même temps, vu la journée peu ordinaire que je viens de vivre, j'aurais dû m'en douter.

— C'est... très vieux...

Ma mère m'observe d'un regard neutre et pour la première fois, je vois son aura s'adoucit vers le jaune, la couleur du bonheur. Ce qui rend cette nuance très étrange autour d'elle. Elle tourne la tête vers la baie et semble se replonger dans ses souvenirs.

— La guerre faisait rage depuis de nombreuses années quand je suis née. Cette guerre où ma mère est morte. Pour tout te dire, je n'ai connu que ça. La guerre, les blessés, la mort, les sacrifices et les monstres. Et je peux te garantir que ce n'est pas ce que je souhaitais que tu voies quand tu étais enfant. Ces images sont des traumatismes qui changent ta vie pour toujours. C'est pour cela en partie que j'ai refusé que tu sois mise au courant de notre nature. Même si je n'ai pas toujours su te la cacher.

Maman se tait et me dévisage attendant que je dise quelque chose à mon tour. Sans doute habituée à mon répondant perpétuel, quand nous nous retrouvions dans la même pièce. Mais je ne dis rien.

— Après le décès de ma mère, il faut que tu saches que j'ai vécu de très longues années en autarcie. Ton grand-père me surveillait comme le lait sur le feu. La guerre s'est ralentie et une trêve s'est installée. Durant cette période plus tranquille, je suis entrée dans la période horrible de l'adolescence. Ce fut l'errance la plus totale, jusqu'à ce que je rencontre ton père. Ton grand-père ne m'a pas élevé comme ton père et moi l'avons fait. Même si, à un moment de ta vie, c'est lui qui s'est occupé de toi.

Ma mère se livre à moi comme je l'ai tant espéré. Elle me raconte ce qui la tourmentait depuis la disparition de sa propre mère. Un fardeau que je n'ai jamais imaginé si lourd, surtout que sa relation avec son père est assez fusionnelle.

— Ta grand-mère a disparu quand je n'étais encore qu'une toute petite fille. Je n'ai pas eu de mère pour m'apprendre les choses de la vie. Pour m'élever, m'aimer, me consoler et m'apprendre à gérer ce que je devenais... Papa cohabite avec une âme remplie de beaucoup de sagesse. Mais il n'a pas eu assez de contact avec ses propres enfants durant sa propre vie, pour lui donner de l'aide pour l'éducation d'un enfant. Une grande partie de notre famille a été décimée durant la guerre. Ma mère était l'une des plus puissantes des Entre-deux mondes... et la plus convoitée aussi.

— Entre-deux-mondes ? Convoitée ?

— Les natifs sont aussi appelés ainsi. Et ta grand-mère était convoitée pour ses capacités. Si l'ennemi arrivait à l'enrôler, ils avaient alors une arme assez puissante pour venir à bout de tous les Entre-deux mondes qui cherchaient simplement à protéger la vie qu'ils s'étaient construite à Espérance. Mais ils ont fini par l'avoir... murmure-t-elle le regard dans le vide.

— Comment ont-ils réussi à la tuer ?

Elle pose son regard triste sur moi. La mélancolie l'enveloppe comme un serpent épais qui s'enroule lentement autour d'elle. Ce gris marron lui donne un air malade qui me glace le sang. Je n'aime pas ce que je vois.

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