| CHAPITRE 2 |

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• Cachons notre peine derrière des problèmes triviaux •

~ ♣︎ ~

...LUCAS...


DEUX MOIS PLUS TARD |


Les béquilles sont à la fois une brillante invention et les choses les plus ridicules et insupportables que je connaisse. J'ai l'impression d'être un vrai monstre à trois pattes ou un poulain qui vient de naitre et qui ne sait pas tout à fait marcher correctement. Ça m'agace. D'ailleurs, à chaque fois que je dois les utiliser - c'est à dire pour le moindre petit déplacement -, je fronce les sourcils et je me mords la langue pour ne pas jurer. Je ne sais pas pourquoi je m'obstine à sortir pour prendre l'air parce que ça me fatigue plus qu'autre chose. Je ne pensais pas qu'utiliser des béquilles était synonyme de sport. Mes bras en pâtissent.

— On peut faire une pause, si tu veux.

Je me tourne vers Léora et la regarde comme si elle s'était transformée en déesse. Je me dirige le plus rapidement possible vers le banc le plus proche et m'affale dessus en poussant un soupir bruyant que la totalité des promeneurs ont dû entendre. Léora sourit, amusée et vient s'installer à mes côtés alors que je jette avec hargne mes béquilles à mes pieds en les fusillant du regard. Elle détache Fiasko pour qu'il court et se dégourdisse les pattes autour de nous. Je l'observe rouler dans l'herbe, sentir les cailloux et se taper des sprints sans aucune raison. Il a l'air heureux et insouciant.

Au moins, l'un de nous l'est.

— J'en ai marre ! Je ne peux même plus courir ! Je ne veux pas être un éclopé toute ma vie ! Tu te rends compte ? Pourquoi est-ce qu'aucun de nous n'a de pouvoir magique qui puisse me guérir en un claquement de doigt, hein ? C'est trop demandé ? Je donnerai tout pour prendre la place de Fiasko, je grommelle en croisant mes bras sur mon torse.

Léora rit doucement et secoue la tête.

— Pas sûr que tu supportes la muselière.

— Je préférerais être muet qu'être paralysé. Je pourrai toujours trouver d'autres moyens de communiquer. Tu m'imagines, moi, dans un fauteuil roulant ?

— Tu ne seras pas dans un fauteuil roulant, Lucas et tu n'es pas paralysé. Laisse le temps à ton corps de se soigner lui-même.

— Ouais, bah... il pourrait le faire plus vite.

Je souffle. Sérieusement. Ça me rend fou de ne pas pouvoir bouger comme je le veux. J'ai l'impression que mon corps ne m'appartient plus vraiment. Il ne me répond plus comme je le voudrais. Et ça, juste parce que j'ai reçu UNE balle dans la cuisse ! Heureusement que Xing a réussi à me la sortir et à m'opérer correctement. Mais bon, maintenant j'ai une cicatrice et une jambe qui met du temps à retrouver sa vitalité.

Je devrais cependant m'estimer heureux car au moins, je suis vivant.

Je ferme les yeux et soupire une fois de plus. J'ai cru à une blague quand Rayle m'a dit que Sergueï était mort. Pour moi, c'était le plus indestructible, le moins vulnérable d'entre nous. C'est comme si j'avais perdu une sorte de héros. Les premiers jours ont été durs mais comme pour tout, je me suis habitué. Je me suis habitué à la douleur, à son absence, j'ai accepté sa mort. Après tout, c'est ce qui finit par se passer mais ça ne veut pas dire qu'il ne me manque pas ou que je l'ai effacé de mes souvenirs. On ne peut pas se morfondre indéfiniment sinon on commence à sombrer dans le désespoir et on se rapproche d'un état semblable à celui de la mort alors que nous restons bien vivants. Notre coeur a encore la chance de battre et il ne faut pas gâcher ce genre de choses.

Cruelle VirtuositéWhere stories live. Discover now