Chapitre 2 : Les soldats d'hiver (1/1)

1.5K 175 57
                                    

La situation paraît irréelle. Les saleuses n'ont pas prévu de s'offrir une petite sortie estivale, le gel givre les routes. Beaucoup de voitures se sont arrêtées sur les bas-côtés, incapables d'avancer sur les voies glissantes. La neige de Saint-Olympe devient le sujet principal sur mes réseaux sociaux. Enfants comme adultes prennent des photos à tout va, et vont de leurs commentaires pour expliquer l'événement à leurs abonnés.

9 h 50, Didier, mon voisin : « Qu'on ne vienne pas me dire que le réchauffement climatique, ça existe. »

9 h 54, Kim2lady – ne me demandez pas qui c'est, je ne m'en souviens plus – : « J'y crois pas, y neige ! »

9 h 57, Pierrick, un oncle : « Il neige. »

Basique.

9h59, Angélique, ma mère : « Ils ont oublié de fermer le congélo, là-haut ? »

Les images parlent également d'elles-mêmes. Si je ne m'abuse, ils se trouvent à des spots différents de la ville, pourtant elles se ressemblent quasiment toutes.

De la pellicule de gel sur le pare-brise des voitures à l'herbe qui blanchit un peu plus à chaque minute.

Ma mère a tenté de faire original en photographiant Beurre, mon chat croisé angora, qui secoue la patte, l'air étonné, flou. Loin de me moquer, je diffuse à mon tour une jolie photo, que ma centaine d'abonnés ignorera sans doute, comme la plupart de mes autres publications. Derrière leurs écrans, ils sont bien loin de la panique qui s'apprête à ravager le centre-ville.

Le boulanger du quartier s'invente climatologue et théorise sur la météo de demain, la vieille retraitée se prétend écologiste et vire au vert, tout le monde à son avis sur la question en moins de deux heures. Bien sûr, les plus alarmistes crient à la fin du monde... Mais le plus inquiétant, c'est qu'ils sont peut-être les plus ancrés dans la réalité.

La dernière fois que j'ai vu tomber la neige aussi tôt dans l'année, c'était dans Snowpiercer, et ça n'a rien de rassurant.

Madame Hernández nous a annoncé, entre les deux heures de cours, que le reste de la journée nous était dispensé. Les transports ont du mal à circuler et les autorités ne souhaitent pas que des lycéens rasent les murs de la ville pour rentrer chez eux, de nuit, faute de bus.

Je me retourne avec précipitation quand Angèle me tire par le coude. Ses pieds patinent sur la pelouse enneigée et elle oscille pendant un instant. L'air amusé, je la retiens par-dessous l'épaule et elle me passe une main dans les cheveux pour me remercier lorsque ses talons retrouvent une certaine stabilité sur le sol.

— C'est la fin du monde, lâche-t-elle, d'un ton sarcastique. C'est la fin, tout court.

Son rire s'essouffle dans une vapeur blanche. Elle cherche à attraper un flocon, qu'elle pourrait laisser fondre dans le creux chaud de sa paume. Ma meilleure amie mime d'être parfaitement rassurée, l'expression tout à fait sereine, mais je vois cette aura affolée et verdoyante qui finit par entourer son corps tout entier.

La neige s'est déjà installée dans le paysage.

Une masse glacée me percute de plein fouet. Des gouttes froides commencent déjà à ruisseler dans mon dos, à l'intérieur de mon t-shirt, quand je me tourne vers le traître. Les visages d'Aurélien et compagnie sont à peine dissimulés derrière la barrière de l'école, où ils collectent une montagne de boules de neige.

— Sérieux, les gars ? me plains-je.

— Allez, fais pas ton rabat-joie, Théo !

Mes pieds frottent la pellicule de glace et je me prépare à la riposte, en les accusant :

Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]Onde histórias criam vida. Descubra agora