Chapitre 5 : Bonhomme de neige (1/1)

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La soirée ne s'est pas si mal passée. Tout le monde a fait des efforts pour qu'elle se passe convenablement.

Cassie, ma cousine, plus vieille de deux ans, a longtemps fait des allers et venues entre son domicile et l'hôpital psychiatrique. Elle a été internée de son plein gré au début du printemps dernier. D'aussi loin que je me souvienne, elle n'a jamais été en équilibre avec son corps, et des pointes d'anxiété l'entourent qu'importe la situation.

Deux choses bien différentes, je sais.

Mais chez elle, une corrélation s'est établie depuis toujours, entre son appétit et ses peurs irrationnelles. Je dirais que ses troubles alimentaires se sont déclenchés après le départ de son grand-frère vers New York, simplement pour ses études. Quelque chose a alors changé.

Le fait est que ce soir, elle est de retour dans son foyer « aimant ». Si le sourire du père et les caresses de la mère, chaque fois qu'elle la voyait porter son verre ou sa fourchette à sa bouche, tromperait n'importe qui... Je ne suis pas dupe. Et le cocktail de colère, de dégoût, et de toutes ces émotions si néfastes, me sont restées en travers de la gorge. Puis le mal-être de Cassie qui supporte avec souffrances ces œillades. Puis l'amour exagéré de Yéléna, sa mère, pour noyer le poisson.

Non, ça n'est pas « pas si mal passée ». C'était terrible.

Quand je sors de la voiture, j'emprunte les clés à ma mère, et je me dépêche dans l'escalier pour regagner enfin l'appartement. Les marches ne me sont jamais parues aussi hautes et les couloirs aussi longs et étroits et vertigineux. Toutefois, j'arrive assez rapidement devant la porte, que je déverrouille avec précipitation. Je lance le trousseau sur la table à manger nappée de fleurs jaunes et m'enferme à double-tour dans les toilettes.

Je ne suis pas assis au-dessus de la cuvette, comme ce matin au lycée, mais complétement penché au-dessus.

Le retour en voiture a été une véritable torture ; mon père m'a même engueulé de ne pas savoir gérer, malgré les années de psy que j'ai derrière moi, la crise. Ma mère s'est énervée contre lui. Il l'a mal pris. Et la farandole de couleurs a continué de défiler devant mes yeux, dans ma tête, dans mes viscères, partout. Partout.

Mon cœur bat à tout rompre. Mon front, sur lequel perlent des dizaines de gouttes, est brûlant. J'appuie ma paume sur ma poitrine, sans que ma respiration n'arrive à se calmer. Chaque souffle est douloureux. L'air qui pénètre mon corps semble vouloir faire éclater le ballon de baudruche qui me sert de poumons. Et plus j'y pense, plus le contrôler me bousille la gorge, et plus j'ai cette sensation de suffoquer. Je déteste me voir ainsi. Chaque fois que mes viscères se tordent, je bascule ma bouche vers les toilettes, mais rien ne vient. Juste de la salive et des larmes. Pire qu'un animal enragé.

Tu ne peux pas te ressaisir.

Je ne peux pas me ressaisir.

Ton cœur est trop lourd.

Et cette voix dans ma tête. Ce trou noir béant qui m'avale, tout entier. Je ne suis qu'un embryon, comparé à sa puissance. C'est comme un écho qui me parcourt le ventre et vient recruter toutes ces couleurs qui ont accaparé mon esprit. L'impression que mon corps se rebelle contre moi, et que la vie m'échappe, le temps de cette trop longue seconde.

Mes yeux ne savent même plus où s'accrocher pour me sortir de là, mes genoux tétanisés n'arrivent plus à me soutenir. Alors je m'effondre. Là, par terre, comme une loque, au pied des toilettes. Mon corps entier se rabat vers l'avant tel un vulgaire chien apeuré. Mes yeux bouffis fixent le carrelage blanc.

Le garçon aux yeux d'hiver [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant