Chapitre 21

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"If you tell a lie big enough and keep repeating it,

people will eventually come to believe it."




"Triple meurtre terrible dans le district 19. Le suspect est un Potestate."

C'est partout. Partout.

Je savais qu'on en parlerait, un peu : un meurtre aussi étrange avec une noyade dans un ruelle sans eau, un homme transformé en arbre, et un sujet de combustion spontanée, oui, on allait en entendre parler.

Mais enfin, partout ?!

Depuis quand l'empire en a-t-il quelque chose à faire de ce qu'il se passe dans les Districts ? Est-ce qu'ils se foutent de nous ?

Le seul moment où ils en ont quelque chose à faire, c'est quand l'un de nous casse leur cuillère préférée, ou rate leur broderie favorite. Autrement, tout le monde n'en a rien à foutre des habitants du district. Nous n'existons pas. Sauf quand il y a du travail à faire.

Nous sommes les travailleurs, les esclaves de ce monde. Et le pire, c'est qu'ils savent tous que personne parmi nous n'est payé suffisamment pour vivre décemment, mais que d'aucun ne tentera de se rebeller ; pour la simple et bonne raison, que l'on ne possède déjà pas des masses, alors s'ils décident de nous en enlever encore, plus personne n'aura assez à manger dans les districts.

Tout le monde sait donc qu'un jour il faudra se soulever, mais choisit de repousser ça à demain, parce que rien n'est certain. Bref, c'est comme ça qu'on apprend à rester en paix avec son quotidien, et c'est comme ça que l'empire tient depuis plus d'un siècle. La flemme sociale.

Parfois, quand je pense à cet état de notre monde, je songe qu'on est bien terriblement dans la merde. Des dirigeants en carton, et un peuple qui préfère ses pantoufles et ses boules quiès. Les seuls à avoir de vraies bottes, ce sont les agents de l'armée et de la police.

Cela n'a pas toujours été comme ça.

Après la grande Transformation, de nombreux citoyens se sont soulevés. Il y a eu espoir en un mouvement, Rebellio, qui était mené par les écrits de Ravenne, député à l'Assemblée Nationale, puisqu'à l'époque, il y avait encore une Assemblée Nationale, même si les partis n'étaient déjà plus que poussière. Néanmoins, malgré la grande majorité de corruption dans l'hémicycle, un groupe de députés s'accrochaient encore et toujours à rétablir la république, le droit commun, la stabilité, et voulaient redonner au peuple l'occasion de voter.

Les écrits de Ravenne promulguaient la souveraineté du peuple, et une république construite pour et avec le peuple. Une logique de territoire repensée, des divisions en districts, et dans chaque district, un conseil de quartier, à l'écoute de ses habitants, qui remonte au fil près les interrogations, besoins et déclarations des habitants.

Ses paroles ont été utilisées, nommées, transformées et tordues dans tous les sens. Le Contrat Socio-politique entre l'Etat et le peuple que Ravenne avait conçu dans son écrit a été détruit.

Le mouvement Rebellio commençait pourtant bien, une belle révolution comme les peuples les aiment, avec une liberté d'expression à son apogée. Il parait qu'on sortait dans les rues et que l'air du temps était à la remise en question des institutions, la réflexion collective, la concertation commune, le renouveau commun.

Ce mouvement, au départ pacifique, débutant dans les universités, et les élites littéraires et philosophiques de l'époque, fut suivi par les ouvriers, les employés, de la plupart des cercles de la société.

Ravenne n'avait pas revendiqué le mouvement, mais de nombreuses personnalités s'étaient emparées de ses écrits, puis avaient vanté les mérites de jours meilleurs avec une révolution ultime qui changerait tout.

Finalement, la révolution était devenue extrêmement violente, et avait nécessité l'intervention de l'armée qui avait retourné la balance en prenant parti des manifestants ... mais juste en apparence. En réalité, l'homme qui menait la révolution était en train de légitimer son coup d'État.

Évidemment, la révolution a "réussi", enfin, c'est ce qu'on nous en dit, mais cet extrémiste qui est arrivé ensuite au pouvoir n'a rien à voir avec les idées de Ravenne. Cet usurpateur a pris les idées de Ravenne et les a fascisées. Les districts sont devenus un outil de répression, et non de consultation simplifiée. L'élite, "victorieuse de la révolution", a puisé et justifié toutes les exactions et les choix politiques douteux, parce qu'elle était "l'expression du peuple".

Vous comprenez, on ne les a pas élus, mais ce sont des gens du peuple, ils ont fait la révolution quoi. Enfin.

Lamentable.

Rapidement, plus personne n'a fait semblant, et il s'est déclaré empereur. Nous sommes actuellement sous le règne de son petit-fils, toujours usurpant les couleurs, la doctrine et les idées du "peuple" afin de reconstruire un meilleur lendemain ... depuis 150 ans.

Parfois, je me demande comment les gens ont pu y croire, mais les gens croient toujours que même aujourd'hui, les choses peuvent aller mieux.

Du coup, je comprends mieux parfois, comment on en a pu en arriver là.

Je passe dans les rues où des gens affamés côtoient d'autres gens affamés mais où les écrans d'information nous répètent sans cesse que nous devons en urgence trouver les trois Potestate violents et terribles qui ont attaqué les trois hommes que j'ai rencontré hier.

Je ravale ma colère, quand je passe devant un écran débitant : "Récompense à tout individu qui apportera des éléments supplémentaires à l'enquête".

Quelle bande d'escrocs, oser promettre une récompense si les gens coopèrent à leur dictature de la merde. Ils règnent sur un peuple de rats, et ils osent nous le rappeler à chaque seconde, ces imposteurs.

Je ne m'inquiète pas de personnes qui puissent donner des éléments, je sais que personne n'ira cafter sur un autre habitant du district par ici, surtout, personne n'a envie d'aider l'empire, et de toute façon personne ne sait que j'ai un Attribut. Je ne l'ai jamais dit.

Je n'ai presque jamais utilisé mon pouvoir, et c'est la première fois que je l'utilisais sur des humains. J'en ai les larmes aux yeux.

J'aurais pu ne pas les tuer.

Je me dégoutte.

Oui, la vérité c'est que mon acte me dégoûte.

Je m'arrête net.

Je viens de me souvenir d'une personne qui sait que j'ai un Attribut.

Merde.

Gaspard.

Je crois être au comble de l'angoisse quand je relève la tête et je crois m'étouffer.

Mon sang se glace dans mes veines. Mon Attribut gronde tel une bête traquée.

Sur l'écran géant, je vois défiler les images d'une caméra de vidéosurveillance.

Ma main se pose en tremblant sur mes lèvres pour m'empêcher de hurler, mais je sais que le bruit que j'entends vient de moi.

Je gémis en voyant la vidéo de surveillance me montrant, sans un mouvement, tuer les trois hommes.

L'image est floue, on ne voit pas mon visage, mais je ne peux prendre aucun risque.

Je dois disparaitre.

Ce soir.

Célestes [En Édition Avant De Reprendre L'écriture]Where stories live. Discover now