Chapitre 32

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"Une fois sur la grande jetée d'Orly, dans ce chaud dimanche d'avant-guerre où il allait pouvoir demeurer, il pensa avec un peu de vertige que l'enfant qu'il avait été devait se trouver là aussi, à regarder les avions. Mais il chercha d'abord le visage d'une femme, au bout de la jetée. Il courut vers elle. Et lorsqu'il reconnut l'homme qui l'avait suivi depuis le camp souterrain, il comprit qu'on ne s'évadait pas du Temps et que cet instant qu'il lui avait été donné de voir enfant, et qui n'avait pas cessé de l'obséder, c'était celui de sa propre mort."

Chris Marker, La Jetée



Farid fait les cents pas dans mon salon.

- Ils ont démonté le stand de la fleuriste, ok, et la semaine dernière, c'était celui du tatoueur. Enfin, je veux dire, c'est increíble, frère, c'est pas croyable ! Le seul crime du gars, c'est de dessiner sur la peau des gens ! ¡ Son neandertales ! {Ce sont des hommes de Néandethal !}

- Oui, je suis d'accord avec toi Farid, les hommes de l'empire sont des brutes épaisses, mais j'ai besoin que tu fasses un effort.

- Hermano, tu devais me dire si un jour ils commençaient à attaquer par chez moi, tu devais me donner une longueur d'avance.

- Oui, mais là, ce n'est pas moi qui ai donné l'ordre, Farid, c'est pour ça que j'ai besoin que tu fasses un effort : comment étaient-ils ?

- Des hommes de l'empire, de toute façon tous les services ont fusionné, non ? Donc, à partir du moment où ils ont un costume noir, c'est normalement tes hommes ?

- Oui, mais c'est plus compliqué que ça. Est ce que tu as vu quelque chose de bizarre, récemment ?

- Extraño, extraño, ¡ Eres tu quien es extraño, coño ! {Etrange, étange, c'est toi qui est étrange, connard !} Mierda, je te dis que ma famille est passée à deux doigts de l'arrestation et ...

- Farid !

Farid s'asseoit sur mon canapé, et se tient la tête dans les mains. Je sens qu'il est furieux, que l'injustice lui pèse, mais plus que tout, Farid a très très peur. A un niveau que je n'ai jamais vu.

Je me poste en face de lui, et j'essaie d'accompagner son esprit vers le calme.

Il se redresse, et me regarde.

- Merci, frère, pardon, je sais que jamais tu ne mettrais ma famille en danger.

- Ne me demande pas pardon, Farid, c'est moi qui t'ai promis une protection, et qui n'ai pas pu l'assurer. C'est moi qui te demande pardon.

Farid ferme les yeux, et me montre la dernière fois qu'il est allé chercher ses soeurs, en passant chez la fleuriste, et en leur achetant à chacune, une petite jacinthe.

- C'est le seul truc vraiment bizarre qui s'est passé depuis pas longtemps. Les mains du gars ont pris feu, personne n'a réagit. Il a été emmené.

- Attends, remontre-moi devant l'école, je lui demande en lui faisant signe de me remontrer une nouvelle fois.

Le souvenir de Farid est flou, parce qu'il est terni par la peur qu'il a ressenti à ce moment, la peur qu'il n'arrive la même chose à ses sœurs, la peur d'être lui-même attrapé.

Néanmoins, en tapant un tout petit peu dans son subconscient, j'arrive à voir qu'une énorme voiture est là, juste derrière la voiture de police.

Farid doit aussi voir la différence dans son souvenir, car il s'écrie :

- Wallah, mais ça c'est la voiture du facho !

- Montboissier, je dis entre mes dents serrées.

- Ce mec est tellement idiot, que ç'en est réellement terrifiant, Gaspard.

Je ne réponds pas. Qu'est ce qu'il fait là ? C'est encore pire que je le pensais, Montboissier a officiellement une branche de la police qui agit sous ses ordres, directement. Je ne suis même pas au courant du déploiement de cette escouade dans le quartier de Farid, et je surveille toujours par chez lui. De toute façon, je surveille tous les déplacements inhabituels.

Pour que mes ordres passent outre, c'est que de nombreux dignitaires de la police ont décidé de se rallier à Montboissier.

Et ça, c'est très très mauvais pour le district.

Ma crainte, c'est : pourquoi cette voiture était là, justement quand Farid passe ?

Je me lève, et marche à mon tour en faisant les cent pas. Au bout de quelques minutes, Farid m'arrête :

- Parle, hermano. Qu'est ce qu'on fait maintenant ?

Je m'arrête.

- Tu ne fais rien, strictement rien, je lui dis en attrapant ses épaules. Tu n'achètes plus de fleurs pour tes sœurs, et tu leur dis de ne rien faire en dehors de la maison. Idéalement, tu trouves un endroit où elle peuvent utiliser leur pouvoir une fois par semaine, hors de chez toi, et ensuite, plus personne n'utilise son pouvoir. Personne, tu m'entends ?!

Farid ouvre des yeux gros comme des soucoupes. Je sors mon Attribut de sa tête pour éviter qu'il ne me communique sa peur. Je dois être alerte. Je dois être vigilant. Je dois les protéger.

- Et tant que je n'ai pas de plan, tu ne fais rien Farid. Rien. Tu n'utilises surtout pas ton pouvoir.

Je pense que l'empire soupçonne Farid d'être un Potestate, et ça veut dire que toute sa famille est en danger.

Je vois au regard de Farid qu'il a compris.


Célestes [En Édition Avant De Reprendre L'écriture]Where stories live. Discover now