Deux jours plus tard, et après quelques anecdotes de voyage que je m'en vais vous conter d'ici un court instant, nous voilà enfin arrivés à la Cité naine de Duraz-Ěrit. Dans leur dialecte, cela signifie le caillou ivre. Mais comment sait-il cela, vous demandez-vous assurément. C'est oublier à qui vous avez affaire. Car le grand barde que je suis ne l'est pas devenu sans une once de travail. La langue est mon outil d'expression, aussi l'ai-je polie dans ses moindres recoins. Cela vous laisse cois, n'est-ce pas, vous qui n'êtes pas même capables de retenir ne serait-ce qu'un dixième de mes leçons. Quoi, ce mot vous dérange ? Il est pourtant fort à propos et plus encore depuis notre dernier chapitre.
Je vous vois déjà montés sur vos grands poneys, prêts à vous révolter face à mon outrecuidance. Je vous arrête de suite, ce n'était pas vous que je visais. Pas cette fois. Notre nouvel acolyte, en revanche, peut sentir ses oreilles siffler. Sir Allan de Montourail, un nom bien pompeux allant à ravir au chevalier d'Origina qu'il est - était ? Quand vous êtes mort depuis deux cent soixante-sept ans, peut-on encore considérer que vous êtes celui que vous étiez le jour de votre trépas ? Passionnante question, que je me garderai toutefois de developper. Quoi ? Soyez heureux, je vous épargne d'avoir à faire semblant d'y comprendre quelque-chose et, de mon côté, j'économise tout à la fois encre et temps. En somme, nous voilà tous gagnants. Quoi qu'il en soit, notre fantôme est un trou béant d'ignorance, que je me vois l'obligation de combler de par mes connaissances. D'une certaine manière, je dois le reconnaître, cette tâche m'incombe logiquement. Tout d'abord, parce que je suis - et de loin - le plus cultivé de notre commando. Ensuite, car c'est moi qui ai sollicité son incorporation. Difficile, vous en conviendrez, de refiler dans ces conditions le gamin aux deux asticots qui me servent de compagnons de route.
Qu'en est-il de ces anecdotes que je vous ai promises ? Que diable, vous voilà bien impatients ! Laissez-moi d'abord vous planter le décor. N'êtes-vous point curieux de savoir où nous sommes et ce que nous y entreprenons ? Ce sont là les toutes premières questions que vous devriez me poser, celles qui auraient dû chatouiller vos maigres méninges, si tant est que vous en ayez seulement quelques-unes... Celle-ci était gratuite, je l'admets, mais elle servira de monnaie d'échange contre l'instruction, devrais-je dire l'éducation, que je vous confère. S'agissant du lieu, il vous faut ouvrir votre esprit et visualiser un environnement cerné de broderies et de dais d'une envoûtante teinte bordeaux. De nombreuses couches y sont éparpillées çà et là, le plus souvent occupées, et seulement séparées d'un fin drap pour y dissimuler une intimité contestée. On y entend quelques conversations, mais le plus clair des sons se rapproche plutôt du doux gémissement. Une idée ? Je vous donne un indice, ce n'est point un dortoir. Et oui, mes gaillards, vous voilà entrés dans un authentique lupanar ! Qu'y faisons-nous ? Sacrés coquins, vous me gênez...
Eh bien, détrompez-vous et réfrénez vos ardeurs. Cela vous étonnera sans doute, mais aucun de nous n'est en prise avec une de ces dames. Point de calembredaines je vous assure, mais les conséquences d'un regrettable contre-temps : nous sommes coincés à l'extérieur de la cité. Quel toupet, n'est-ce pas ? Je n'aurais su dire mieux. Quoi qu'il en soit, vous comprenez aisément ce qui nous amène à repousser les avances de ces alléchantes nymphes. Argh, quelle déception, quelle cruauté ! Que les sept démons emportent Aelenor et son epouvantable sort !
Bref, arrêtons de nous flageller, c'est déjà assez dur pour ne pas l'évoquer davantage. Concentrons nous plutôt sur ce que nous avons, chacun, entrepris depuis lors. S'il fallait les qualifier, je dirais de nos actions qu'elles nous reflètent assez fidèlement. D'un côté, Sir Allan n'a pas longtemps tergiversé avant de disparaître - voyez la précision du terme - certainement pour rejoindre ses copains séculaires. À l'heure qu'il est, je l'imagine errant entre deux tombes, à faire mourir d'ennui un vieux squelette ayant eu le malheur de se trouver sur son chemin.
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La Compagnie d'Aector
FantasyJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...