J'ai très mal dormi, merci de vous en soucier. De toute façon, je n'espérais guère mieux, après cette soirée manquée. Je n'ai cessé de tourner sur mon matelas doré, ressassant cette opportunité et ce qui m'a contraint à y renoncer. Ai-je plus de réponses à vous apporter ? Non, et vous vous en contenterez !
C'est donc la mine hagarde que j'ai rejoint mes compagnons ce matin avant de reprendre la route. À six, il y a moins besoin de meubler et les blancs se font plus rares. Tant mieux, je n'étais pas d'humeur à me perdre en palabres. Toute mon attention est focalisée sur notre environnement. Du moins, c'est ce que je mime, pour faire semblant. Ma pensée est ailleurs, elle s'abîme en d'autres destinations. Là où la dernière fois je l'ai effleurée, cette tendre passion. Encore une fois, je m'égare...
Mes compagnons bavassent sans réel sujet. Regardez-les, n'ont-ils pas l'air jeunes et guillerets ? Auraient-ils tout bonnement oublié où nos pas nous mènent ? Sérieusement, observez Yoruk et Fìnael, les voilà devenus comme cul et chemise. À moins que cela ne se limite au premier. Comprenez ou non l'allusion... Je ne parle même pas d'Aector et du regretté chevalier de Montourail, ces deux pies jacassent comme deux jouvencelles au chevet de leur première fois. Seul demeure mon éternel rival, qui s'alimente de la nature environnante, mais même lui ne tarde pas à se mêler à la discussion de notre duo de tête. Je crois qu'ils évoquent ensemble le passé des terres que nous rejoindrons bientôt.
Je reste seul, l'unique être à me murer dans le silence de l'oisive contemplation. Il y a de la verdure par ici, éloignés que nous nous sommes des pics enneigés aux abords d'Arasmée. J'ai beau revêtir les oripeaux d'Ëlyias, je préfère cette température plus clémente à la bise gelée. De vent, il n'y en a de toute façon pas, dans cette forêt où s'acoquinent de gigantesques feuillus et de minuscules arbrisseaux. La route serpente entre ces géants et ces nains, frôlant les racines des premiers et la cime des seconds. Et au milieu de tout ça, s'aventure notre joyeuse équipée, sifflotant un air entraînant.
Tout cela semble trop beau, utopique même, me direz-vous ? Notre compagnie, fière de sa quête, infiltrerait le royaume et fuserait en direction de la Cité Noire, sans plus d'écueils ? Dîtes-moi que je ne suis pas le seul à trouver cela louche, hein ? Oh, s'il vous plaît, faites preuve d'un tantinet de bon sens pour une fois. Vous me trouvez pessimiste, c'est cela votre réponse ? Ma foi, vous n'avez pas tout à fait tort. J'avance et trace la voie, mais le cœur n'y est pas. Oui, oui, je sais, c'est moi qui ai initié cette épopée, mais que voulez-vous, j'ai comme un goût d'inachevé. Hier, j'ai cédé aux atermoiements de mes comparses, mais aujourd'hui, la raison m'est revenue. Malheureusement, à moi seul, comme à l'accoutumée !
Je vous passerai les détails de ces raisons, vous n'y comprendriez rien, c'est certain. Et puis, je vous l'ai dit, je n'ai pas la tête aux longs développements. Humons plutôt cet air bucolique, ce parfum de fleurs hivernales et d'herbe légèrement perlée. Car oui, j'ai bien entendu votre complainte et m'en vais vous donner une description de notre décor, je sais que vous êtes perdus sans cela.
À ceux qui ne l'auraient pas remarqué, nous sommes bien enfoncés dans l'hiver. L'automne de notre rencontre a fugué pour la neige de janvier. Moi-même, je ne connaissais pas cette région, mais je la découvre avec un indéniable ravissement. Notre route s'en trouve parsemée de mauve, rose, crème et lilas, tandis que ressurgissent dans ma mémoire ces quelques noms de plantes : cyclamen, helleborus ou érica. Les arbres jalonnent notre tracé, nous dessinant la voie à suivre vers Orquécide. Hormis le bavardage de mes compagnons, il règne un silence apaisant, lequel parvient doucement à apaiser ma mélancolie.
– Comment ça va, le gringal' ? Tu n'as presque rien dit depuis qu'on a quitté cette ferme, vient me bousculer Aector.
– Oh, ce n'est rien, je réfléchis voilà tout.
– Ah, tu élabores la stratégie que nous allons employer, c'est ça ?
– Euh, oui, tout à fait...
– Bah, attendons d'avoir déjà franchi la frontière et nous nous occuperons de cela, me lance-t-il à mon grand effarement.
– Je croyais que seule la reconquête de votre trône était digne d'intérêt à vos yeux, lui glissè-je.
– En partie, Aëmys, en partie, répond-il soudain d'une voix plus sombre qu'à l'accoutumée.
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La Compagnie d'Aector
FantasyJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...