– Et voici, Karinas, mon chez moi !
– Outch, quel triste habitat.
– C'est pas joli-joli, l'scribouillard. J'savais bien qu'on était pas si différents, toi et moi.
– Qu'entends-tu par là ?
– Tu fais le beau, mais quand on y gratte, t'es tout aussi rincé que moi.
– C'est donc là le palace que vous nous promettiez, eh bien ! rajoute Yoruk, moqueur.Mes aïeux, ce qu'il ne faut pas entendre... Bon, je le reconnais, ma demeure a connu des jours meilleurs. Et à quoi ressemble-t-elle désormais ? Croyez-vous que je vais vous livrer cette information gratis ? Ah, voilà bien votre crédulité en œuvre. J'ai d'autres projets, mais vous en saurez bientôt suffisamment pour cesser de vous lamenter.
– Au moins, personne ne nous importunera tant qu'on sera ici, rétorquè-je, je l'admets un peu vexé de leurs commentaires. Ne faites pas vos mijaurées. Une nuit dans mon taudis sera de toute façon plus agréable que toutes celles passées dehors. Prenez quartiers, maître nain et vile chapardeuse, ici vous n'aurez point à vous plaindre de la literie.
Sans plus de cérémonial, mes deux compères s'en vont visiter notre gîte. Je gage qu'ils ne nous dérangerons plus du séjour. Car c'est demain, à l'aube, que nous repartirons. Cela nous laisse toute la nuit et, pour tout vous dire, je n'ai pas vraiment sommeil. Vous non plus. Notez que ce n'est pas une question, vous allez rester éveillé cette longue soirée et, enfin, je vais vous conter mon histoire...
Faisons l'économie de ma vie à Origina, vous en avez déjà eu un bref aperçu et, pour ce qu'elle a compté dans mon existence, cela suffit amplement. Je n'étais pas destiné à y rester, me refusant à l'opulence vaine qui y végétait. Figurez-vous qu'un certain idéalisme me guidait à l'époque, que je dénigrerai sans doute aujourd'hui. J'avais vingt-trois ans, l'insouciance dans le corps. Et c'est à bord du Pillar, je crois en automne, que j'ai quitté ce continent pour celui que vous connaissez.
Mon état d'esprit ? J'avais le vent en poupe, ne doutant d'aucune façon de mon inévitable succès. C'est peu de reconnaître que la réalité s'est avérée fort différente. Ma fraîche et juvénile renommée a vite chaviré, emportée par les incessants flots et marées. Débarqué, je me suis retrouvé sans le sou – un facteur que j'avais déjà en tête – mais davantage encore, esseulé et sans public à charmer. Argh, l'imaginez-vous seulement, cette belle et pimpante frimousse, confrontée à ce nouveau monde, à cette cohue d'êtres infâmes, de quartiers malfamés et d'illettrés par milliers ? Des rustres, voilà ce que vous êtes ! Classe et grâce vous étaient offerts en mon humble personne et c'est au fond d'un caniveau que vous m'avez convoyé. Triste première nuit...
J'ai erré, parfois mendié et souvent cogité. Que m'arrivait-il pour que ma vie ressemble à ce point à la vôtre ? Rebrousser chemin est devenu une éventualité non négligeable, mais c'eut été contraire à mes principes. Entendez-le, Aëmys ne renoncera jamais ! Peut-être aussi un léger souci de porte-monnaie en vue de financer cette contre-traversée...
Bref, me voilà un colon résigné. La flamme et le talent s'étiolaient, bien couverts par les rossées, la disette et le froid. L'abîme se faisait toute proche, qui m'aurait conduit à vous ressembler. Absolument hors de question, vous en convenez. Alors, j'ai repris en main ma vie et je suis parti. Après l'écume, ce fut la poussière que je laissai dans mon sillage, quittant les côtes méridionales pour les terres intérieures.
C'est là que je suis tombé sur elle, au milieu d'un bosquet, cerné d'arbres fruitiers. Détail important pour celui qui vagabondait depuis des jours sans rien avoir à se mettre sous la dent. Il pleuvait dru, j'étais frigorifié et quelque peu désespéré. Le risque d'être éconduit une énième fois me glaçait plus encore. D'un autre côté, je n'étais plus à une déconvenue près et l'état de la baraque me laissait envisager qu'elle était abandonnée. J'ai pourtant frappé à la porte de cette miséreuse maison – les bonnes manières, que voulez-vous – et vous connaissez la suite... Une silhouette, son visage, je faisais sa rencontre. Après cela, ma vie à basculé, la sienne aussi d'ailleurs.
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La Compagnie d'Aector
FantasyJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...