Chapitre 4

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 Anne-Lise

Alors que je gravis les escaliers pour aller dans ma chambre, je n'arrive pas à déterminer si Maxence m'agace ou me fascine. Mais quoi ? Je ne sais jamais vraiment ce que je ressens en sa présence. Mais en tout cas, il ne me laisse pas indifférente.

Cela fait maintenant trois jours que nous trions les dons à la paroisse. Il s'implique sans être heureux. J'ignore les vraies raisons qui l'obligent à passer l'été chez nous. Quand j'ai tenté de savoir pourquoi il était accueilli sous notre toit, Père m'a juste répondu :

— C'est un garçon peu fréquentable qui, je l'espère, retrouvera le chemin de la droiture et la lumière du Christ en étant sous notre toit. Fais bonne mesure, mais ne reste pas trop en sa compagnie Anne-Lise. Son père dit qu'il est capable de faire tourner la tête de n'importe quelle jeune fille.

Je veux bien le croire. Je suis convaincue qu'un garçon comme lui se complairait sans doute plus à sortir le soir, à coucher avec toutes les Caroline, plutôt que d'écouter Père et Mère dirent le bénédicité.

Caroline. Même si je désapprouve sa conduite, j'avoue que je l'envie quand même un peu. Elle peut s'amuser, rencontrer des gens. Et même si elle s'allonge auprès de tous les garçons de la ville, Dieu ne semble pas la frapper de ses foudres pour autant.

Je m'enferme dans ma chambre, me pose à mon bureau. Sans conviction, j'ouvre « Roméo et Juliette », ouvrage que je dois travailler pour la rentrée. J'ai beau déjà connaître l'histoire, je reste fascinée par cet amour absolu entre les deux héros. Peut-on éprouver des choses si fortes qu'elles poussent à commettre l'irréparable ? Est-ce ce que je finirai par ressentir pour l'homme que j'épouserai ?

Alors que les mots défilent, des pas qui martèlent le plancher au-dessus de ma tête rythment ma lecture : Maxence est dans sa chambre. Il tourne en rond. Comme toujours. Mon esprit divague : je l'imagine escalader la façade de la maison jusqu'à ma chambre, pénétrer dans ma chambre, et déposer un long baiser fougueux sur mes lèvres. Puis il m'allongerait sur mon lit pour me dévêtir et toucher ma peau en des endroits secrets et intimes. Je...

L'ouvrage glisse de mes mains et me sort de ma torpeur. J'ai chaud... et honte. Maxence et moi ? Non, je ne l'attirerais jamais. Et une jeune fille comme moi n'attire pas les garçons comme lui.

Je range mon bouquin, je n'arrive plus à me concentrer pour le moment. Comme je sors mes affaires de mon sac, je remarque un message sur mon téléphone. C'est Thibault.

Thibault : Je suis en bas de chez toi, aurais-tu quelques minutes à m'accorder ?

Je souris, me lève et lisse ma jupe. J'aime bien Thibault. Il est doux et prévenant. Nous partageons les mêmes envies, les mêmes idées. Nous croisons régulièrement ses parents à l'office du dimanche, et Mère apprécie beaucoup la sienne.

Je m'empresse de rejoindre Thibault qui m'attend sur le trottoir. J'observe discrètement son profil. Droit comme un I, les mains dans le dos, il est presque aussi grand que Maxence, mais d'une carrure moins imposante. C'est un excellent joueur d'échecs, de bridge et il pratique le golf. Que des activités convenables.

Il aurait pu partir aux États-Unis pour poursuivre ses études en école de commerce, mais à la demande de son père, il est resté en France. Il pourra ainsi prendre la suite de l'affaire familiale.

Son sourire est toujours plus grand lorsqu'il m'aperçoit.

— Anne-Lise, comme je suis heureux de te voir !

— N'exagère pas, nous nous sommes quittés il y a quelques heures à peine.

— Je sais, mais j'avoue m'être inquiété quand je t'ai vue partir avec lui.

Je fronce les sourcils : je trouve étrange la façon dont il a prononcé le dernier mot de sa phrase.

— Pourquoi ?

Spontanément, Thibault s'empare de l'une de mes mains. Aussitôt mon cœur s'emballe à son contact.

— Ma douce Anne-Lise, ton cœur est si pur que tu ne vois pas le mal quand il est sous tes yeux. Ce garçon, Maxence, tout en lui crie qu'il n'est pas recommandable. Je suis certain qu'il a de mauvaises fréquentations. Et j'ai peur qu'il ne finisse par t'entraîner sur un chemin de traverse.

Je ris de son propos.

— Tu te fais des idées, Thibault. Pour partir dans la mauvaise direction, il faudrait que mes parents me laissent plus d'autonomie. Or, tu sais ce que mon père en pense. Je crois que seul l'homme que j'épouserai me fera découvrir ce que c'est que de rentrer tard le soir.

— Tu exagères ! me taquine-t-il. Tes parents t'ont toujours laissée partir en camp scout, au Frat et aux JMJ *.

— Oui, car j'étais encadrée par les sœurs du compagnonnage.

Ni lui ni mes parents n'ont besoin de savoir que j'ai échangé mes premiers baisers au coin du feu.

Le silence se fait, et je sens soudain Thibault mal à l'aise.

— Il y a un souci ? Ai-je dit une bêtise ?

— Non, pas du tout. C'est moi qui...

— Qui quoi ?

Thibault semble hésiter à poursuivre. Soudain, sa prise sur mes doigts s'affermit. Il plante son regard dans le mien et lâche d'une traite :

— Je t'aime beaucoup Anne-Lise. Tu es une si belle personne, avec un grand cœur et une âme généreuse. Je... j'aimerais demander à ton père l'autorisation de te fréquenter. Enfin, si tu es d'accord.

Seigneur ! Mes joues doivent être rouges, aussi bien de surprise que d'émotion. Thibault qui se déclare ? Je n'aurais même pas envisagé qu'il puisse m'avoir remarquée. Il se méprend sur le sens de mon silence. Il ajoute :

— Laisse-moi essayer de te convaincre.

Il s'approche, m'enlace avec douceur et pose ses lèvres sur les miennes. Son baiser est tendre, timide, mais assez osé pour qu'une émotion indéchiffrable embrase mon sang. Je m'accroche à sa chemise. Ses mains glissent dans mon dos quand nous sommes interrompus par un raclement de gorge.

Honteuse, je m'écarte promptement. Si c'est Père, je vais avoir de sérieux ennuis. Il ne s'agit que de Maxence. Quand nos yeux se croisent, j'y vois quelque chose de curieux : il semble comme contrarié de me trouver dans les bras de Thibault. Ce qui est parfaitement ridicule.

— Et bien cul béni, chapeau ! Tu sais faire autre chose que de dire la messe.

— Maxence !

Je suis choquée par la vulgarité de son propos. Thibault serre les poings et s'empourpre.

— Je vous saurai gré de changer de ton en ma présence, Maxence. Nous ne sommes pas amis à ce que je sache.

Maxence le toise, narquois. La réplique de Thibault ne l'impressionne pas le moins du monde. Et aussi étrange que cela puisse paraître, son attitude à la limite de la provocation me plaît.

— J'te rassure, je ne t'aime pas non plus.

Je me retiens de rire. Thibault lui, est outré.

— J'en conviens, nous ne serons jamais amis. Aussi, je vous demanderai de ne pas importuner Anne-Lise. Elle doit déjà s'accommoder de votre présence, inutile pour elle de subir la honte due à votre mauvaise éducation.

Cette fois-ci, c'est au tour de Maxence de s'offusquer. Et à la manière dont se contracte sa mâchoire, il n'apprécie guère qu'on lui réponde. Il fait un pas dans notre direction ; par réflexe, Thibault se place entre lui et moi.

— Laisse mon éducation en dehors de notre discussion, je n'ai pas à en rougir. Et Anne-Lise est, de mon point de vue, capable de prendre seule la décision d'être ou non en ma présence. Trop de gens la considèrent comme un vulgaire objet sans personnalité, incapable de remarquer la fille belle et formidable qu'ils ont sous les yeux.

Thibault s'étouffe de rage. Et moi, et bien, mon cœur bat à la chamade.

Belle, Maxence me trouve belle.  

Mon interdit (Edité chez Vipérine)Where stories live. Discover now