4. En Etat De Choc

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Blanche ouvrit les yeux en sachant qui elle était. Sa rencontre avec le Dieu Fenrir était encore bien trop fraîche dans sa mémoire à son goût, elle le chassa loin dans les profondeurs de sa conscience, trop inquiète de savoir où elle avait atterri.

Ses yeux sillonnèrent le plafond. La luminosité de la pièce était faible, pourtant elle perçut tout avec une extrême acuité. C'était si clair ! Comme si elle voyait le monde pour la première fois. Le plafond était haut, la peinture quasiment neuve, dont l'odeur lui chatouillait les narines tout comme le désinfectant. Elle pivota la tête sans ressentir la moindre douleur. C'était déjà plus qu'elle ne pouvait l'espérer, se remémorant in extremis l'accident de voiture.

Un bruit lui fit tourner la tête vers la gauche. Blanche cligna des yeux en reconnaissant la première personne qu'elle voyait.

- Blanche ? souffla-t-il inquiet en lui souriant, d'un mouvement qui se voulait néanmoins rassurant.

Penché vers elle, Monsieur Ardachir l'analysait. Bouche-bée, elle le dévisagea. C'est dingue comme elle ne l'avait jamais vraiment vu avant, pas de cet angle-là. Ses cheveux couleur chocolat noués en catogan avaient mille et un reflets. Son visage avec le teint d'une dune à son zénith, aussi lisse que du caramel, ses yeux pétillaient comme de l'ambre et son ossature, digne d'une sculpture grecque.

C'était la première fois qu'elle réalisait qu'il ne faisait pas son âge. On lui aurait donné la trentaine, si sa mâchoire n'était pas aussi carrée et ses pattes d'oie aussi prononcées. Elle le trouvait sublime et son cœur battit à cet instant unique, pour le père d'Eva. Elle avait déjà le béguin pour lui, là, elle était carrément tombée amoureuse. Ses sens semblaient être bien amplifiés, car elle ressentait tout puissance dix mille. Qu'est-ce qu'ils avaient mis dans sa perf, au juste ?

- Eva ?

Sa voix paraissait sortir des profondeurs, basse et rauque, elle lui apparut encore méconnaissable.

- Bien. Grâce à toi et pour cela, je te serai éternellement reconnaissant.

Sa voix lumineuse lui fit chaud au cœur, ses paroles davantage. Elle lui sourit et il le lui rendit au centuple. Il baissa les yeux vers sa main droite et elle le suivit du regard. Accrochée à elle avec force, elle ne le sentait qu'à peine, Eva, la tête reposée sur son lit d'hôpital, dormait à poings fermés. Ses boucles dont Blanche avait toujours cru qu'elles étaient de la même couleur que son père formait un halo sublime révélant son teint de porcelaine. Sauf qu'elles ne l'étaient pas. Si Kiyan avait les cheveux noirs avec des reflets caramel, Eva avait des reflets bleutés. Étrange. Les yeux gonflés par les larmes, les joues rouges, elle semblait morte de fatigue.

- Elle ne t'a pas lâché. Elle m'a appelé en premier et les secours t'ont conduit à l'hôpital le plus proche. Tu as eu beaucoup de chance d'après les médecins. Tu t'en tires avec une légère commotion et quelques hématomes.

Elle soupira de soulagement. Ç'aurait pu être pire, bien pire.

- Maman ? murmura-t-elle.

La jeune femme avait un ordre précis de personnes à qui se référer.

- Dans le premier avion qu'elle a trouvé.

Il vérifia sa montre avant de se tourner vers Blanche avec une infinie douceur.

- Son avion a atterri à trois heures du matin. Elle ne devrait plus tarder.

Puis lentement, il s'approcha et leva sa main pour lui caresser tendrement les cheveux. C'était bien la première fois !
Abonnée au mode surprise depuis un bon moment, lui semblait-il, elle remarqua qu'il ne l'avait jamais touché de la sorte... Eva oui, elle non.

Envoûtée, par ses prunelles et ses caresses, elle se contenta de visser ses yeux droits dans les siens. Les secondes s'éternisaient sans qu'aucun des deux ne se décida à prendre la parole. Elle était bien, plus que bien même, dans leur petite bulle. Rien que pour vivre ce moment, ça valait presque la peine de se prendre une caisse en pleine tronche. Intérieurement, elle remerciait Fenrir même si elle savait qu'au fond, il devait en avoir rien à foutre.

- Blanche ? demanda, une voix essoufflée.

Sursautant tous les deux, pris en flagrant délit, ils se retournèrent au même moment pour apercevoir sa mère qui venait à peine de passer la porte de sa chambre d'hôpital. Aussitôt Kiyan relâcha sa prise. Une pointe de regret envahit la jeune femme tandis que sa mère se précipita à sa droite, encore vide jusqu'à présent. Sa petite course en talons aiguilles jusqu'à son lit réveilla Eva encore endormie jusqu'à lors.

- Blanche ! s'exclama Évanescence, soulagée, les yeux chocolatés bien plus sombres qu'elle ne l'aurait cru.

Il y avait quelque chose d'étrange à propos d'Eva qu'elle ne s'était jamais aperçu avant mais Blanche n'arrivait toujours pas à mettre le doigt dessus.

- Mon cœur ! s'écria sa mère, son maquillage complètement ruiné par ses larmes, ses cheveux en pagaille.

Jamais, ô grand jamais ! Elle ne l'avait vu ainsi. Sa mère, Elsa - diminutif d'Elizabeth - Callahan, mettait un point d'honneur à être prête en toutes circonstances.

Autant blonde que Blanche était rousse, elle avait pourtant le même type de cheveux que le sien. Leurs visages quasiment identiques, elle la scruta de la tête aux pieds pour être sûre que sa fille n'avait rien. Blanche en profita pour s'asseoir avec précaution.

Cela fait, Elsa attrapa son visage et l'embrassa partout avant de la serrer fort là où elle le pouvait. Ça aussi, c'était une première ! Blanche essaya avec force de ne pas se crisper cependant le dégoût envahissait tout son être. Elle détestait toute cette attention. Elle n'était pas fan des démonstrations d'affection depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvenait. Elle offrit une moue de détresse à Kiyan, lui criant silencieusement : « au secours ».

Il lui sourit en retour, secouant la tête, bien trop heureux pour une raison qu'elle n'arrivait pas à saisir. À la réflexion, il était du genre observateur, et si c'était pour cela qu'il n'avait jamais...

- On m'a raconté ce que tu as fait !

Sa mère coupa net le fil de ses pensées. Elle se releva, tenant encore le visage de sa fille entre ses mains. La jeune femme discerna une nouvelle lueur reptilienne dans l'œil de sa mère. Cela avait duré qu'une seconde, se demandant encore, ce qu'ils lui avaient bien pu lui donner comme médicaments...

- Je suis tellement fière de toi mon cœur. Mais j'ai eu si peur ! Me refais plus jamais une peur pareille, tu m'entends ?!

Blanche hocha doucement la tête. De toute façon, elle était désormais immortelle dans ce monde, pas vrai ? Enfin, elle n'était pas des masses croyante, peut-être que tout cela n'avait été qu'un sombre cauchemar.

Tout-à-coup incapable de lui dire un mot : Blanche avait juste l'impression d'être à des années lumières de son propre corps. Sa mère continua de parler sans qu'elle n'enregistre grand-chose, à part qu'elle allait tuer l'enfoiré qui avait mis sa fille, je cite : « dans ce lit d'hôpital ». C'est uniquement quand le médecin saisit Blanche en l'aveuglant à moitié qu'elle comprit que quelque chose clochait grave. Parce qu'elle ne l'avait pas entendu rentrer, ni même vu avant qu'il ne s'empare de sa tête sans son consentement. Par réflexe, Blanche recula, mais il l'agrippa fort, enfonçant ses doigts osseux dans sa chair.

- Aieuhh !

Elle appela à l'aide du regard à la seule personne en qui elle avait le plus confiance. Kiyan, les bras croisés, avait cédé sa place avec réticence, tandis que le docteur continuait de regarder ses yeux d'un vert vif avec sa minuscule, néanmoins puissante lampe de poche.

- Elle est en état de choc. Elle a besoin de calme et de repos. Je vais lui donner un tranquillisant.

Blanche n'eût pas le temps d'avoir peur. Engourdie, aussitôt dit, aussitôt fait. Sa mère serra sa main droite, sa meilleure amie, la gauche. Et sans comprendre vraiment, elle se sentit partir en gardant en mémoire l'air sombre et renfrogné de Kiyan, qu'elle aimait décidément beaucoup.

Drake Magister - Tome 1 : Blanche (Terminée). Where stories live. Discover now