6. Agonie

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Contrairement à ce que lui avait fait croire Kiyan, elle avait pris cher !

Son corps choisit ce moment précis pour lui rappeler comment elle avait été, gisante sur le sol, bloquée par l'avant de la voiture. De ses bras repliés au-dessus de sa tête pour amortir les dégâts, du craquement de ses os et même de son râle d'agonie.

Elle se souvint de la douleur comme prise par un raz de marée, engloutissant tout sur son passage. De sa vision brouillée à cause de son sang qui coulait à flot. De l'odeur du gazole et d'autres choses encore plus âcres, comme celle de sa chair brûlée envahissant sa gorge.

La peur de l'inconnu noua ses entrailles aussi soudainement que cette voiture qui l'avait percuté. Le souffle court, elle luttait ne serait-ce que pour respirer. La scène se rejouait nettement dans sa tête. Impossible d'avoir survécu à ça ! Complètement paniquée, elle voulut se tâter tout le visage avec dureté, tout pour sentir la moindre chose qui pouvait lui assurer qu'elle était bel et bien vivante.

C'était peine perdue.

Elle était de nouveau à l'hôpital, où le médecin et sa panoplie d'infirmiers essayaient de l'immobiliser pour lui injecter une autre dose de tranquillisants. Apparemment, elle avait eu un sommeil agité. Tu m'étonnes ! Elle ne voulait pas y retourner quoi qu'il arrive. Un orc, ça lui avait suffi. Merci bien. Du coup, Blanche se mit à faire un scandale.

- Non ! Hurla-t-elle. Je veux pas dormir ! Pitié ! Pas dormir !

Elle était consciente d'être plutôt irrationnelle et hystérique sur le moment, mais elle n'en avait rien à cirer. Elle ne voulait pas y retourner, même pas pour tout l'or du monde.

- Lâchez-la, exigea une voix froide et exigeante. Vous l'avez entendue. Lâchez-la.

Kiyan. Elle ne l'avait même pas vu. Chose rare qui lui fit comprendre qu'elle était véritablement atteinte.

Visiblement, elle avait fait du mal au personnel soignant. Les infirmières affichaient quelques griffures dues à ses ongles et le docteur arborait un beau coquard qui risquait fort d'empirer les jours à venir. Cela lui apportait néanmoins le charme qui lui manquait. Elle ignorait qu'elle était capable d'une telle brutalité. Enfin, ça, c'était avant de fendre le crâne d'un orc avec sa propre hache, bien sûr...

Mais ils la lâchèrent. Par miracle et en parlant de choses impossibles, elle se rendit compte qu'elle n'avait pas la moindre égratignure. En fait, elle allait même très bien, physiquement du moins. Parce que mentalement... C'était tout l'inverse. Aussitôt tendue, à moitié levée, les bras en l'air, elle ne fit plus le moindre mouvement et se contenta de fixer la seringue.

- Éloi...éloignez ce truc de... de moi !

Une fois encore, elle ne reconnut pas sa propre voix. Elle bégayait prise d'émotions, une fois de plus, chose qui ne lui était encore jamais arrivée.

Bon, des premières fois, elle en avait eu à la pelle ces derniers temps. Depuis qu'elle était morte et ressuscitée pour être exact. Blanche avait vivement besoin de normalité, d'éléments habituels et ennuyeux.

- Vous l'avez entendu, répéta Kiyan d'une voix implacable. Blanche va mieux, elle est calme. Sortez, je m'occupe d'elle.

Le médecin fut sceptique, mais il sortit néanmoins avec les autres, non sans un regard meurtrier. Quand la porte se referma derrière lui, la tension qui régnait dans la pièce disparut et son corps recommença à trembler. Elle fut alors parcourue de pleurs, impossible de se calmer. Elle avait eu la frousse de sa vie avec cet accident et surtout de cet orc... La nausée menaça de la submerger.

Soudain, des bras puissants et chauds l'attrapèrent et dans ce bref cocon de sécurité, elle se mit doucement à se sentir mieux. Une odeur de palmiers, de citrons, de muscs, d'orient tout simplement, virile et pourtant si fleurie, comme une oasis enchanteresse envahissant son espace. Là, dans les bras de Kiyan qui lui chuchota tendrement des mots sans aucun sens dans une langue qui lui était étrangère, elle se calma instantanément. Elle l'avait déjà entendu, surtout lorsqu'il jurait, sa langue maternelle étant étrangement mélodieuse. Elle était de retour à Epsilon et c'était tout ce qui comptait.

Blanche lui rendit alors son étreinte et se blottit dans son cou, humant avec délice son odeur. Il hésita un instant pris au dépourvu, finalement, il raffermit sa prise.

- Tu parais si grande, si forte et cependant tu es si petite dans mes bras, lui murmura-t-il.

La jeune femme qui n'avait rien à répondre à cela, profita du moment présent. Puis sentant qu'elle abusait carrément, elle s'éloigna un peu.

- Maman ? demanda-t-elle honteuse en baissant les yeux, préférant regarder ses mains, les tortillant de gêne.

- Aux toilettes avec Eva. Ton rythme cardiaque s'est emballé, en proie à un cauchemar, ils ont tous rappliqué, pensant que quelque chose n'allait pas.

Sa voix chaude et familière lui fit du bien. Plus qu'elle ne l'aurait cru. L'image de l'orc ancrée dans son esprit continuait de la hanter. Blanche se sentait tellement minable car, elle avait eu de la chance. Elle était mortifiée en pensant à la prochaine fois, parce que oui, elle en était certaine : il y aurait une prochaine fois et cette fois-ci, elle n'était pas sûre d'avoir encore le dessus.

Avenant, Kiyan posa sa main sur son dos et entreprit de l'apaiser en traçant de larges cercles. Presque aussitôt, elle sentit tous ses muscles se délier un à un.

- Merci, murmura-t-elle. Merci.

Enfin, il lui caressa la tête et les cheveux avec une tendresse infinie, ce qui la soulagea d'autant plus. Avec lui dans les parages, elle avait l'impression qu'elle ne risquait plus rien.

C'est cette pensée qui lui fit tenir bon jusqu'au retour d'Eva et de sa mère. Ils discutèrent jusqu'à l'aube. La fatigue oubliée, Kiyan alla leur chercher à manger. En discutant, rigolant et en mangeant tous les quatre, elle en oublia sa nouvelle condition.

Drake Magister - Tome 1 : Blanche (Terminée). Où les histoires vivent. Découvrez maintenant