Chapitre 19

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Je me laisse bercer par le mouvement de la voiture alors que nous entrons sur l'autoroute en direction de l'Allemagne. Je crois que j'aurais un petit pincement au cœur à chaque fois qu'on quittera une ville. Je sors mon carnet pour remettre à jour les événements. J'ai sincèrement adoré les maisons à colombages, l'architecture de Strasbourg, ça change du sud. J'aime ce changement d'air.

En quittant Strasbourg, nous avons voulu passer devant les bâtiments du Conseil et celui du Parlement européen. Nous avons pris vingt minutes pour nous y retrouver mais nous avons réussi. Je ne sais pas pourquoi mais je trouve ça amusant de voir ces bâtisses avec tous ces drapeaux flottant devant. Il y a aussi tout un tas d'ambassades et consulats dans cette ville, c'est impressionnant.

— Ajoute une règle dans le carnet. Ne pas draguer ou avoir pour projet de coucher avec quelqu'un, m'ordonne Clayton.

Je note la règle qu'il vient de dicter. Il a carrément refroidi l'atmosphère. J'ai envie de l'étriper. Il est obligé de remettre ça sur le tapis. Je me suis excusée, j'ai avoué mes torts et il continue de rabacher cette histoire.

— Ajoute aussi la règle numéro neuf, quand un de nous deux ordonne d'arrêter l'alcool on le fait.

Avec rage j'écris encore cette règle, les dents serrées. On est incapables de rester une journée sans conflit. C'est fou que je m'entende si peu avec quelqu'un, et qu'il me fasse sortir de mes gonds à ce point. Il n'y a que lui qui peut me faire dire et faire certaines choses que jamais je n'aurais osées habituellement. J'ai l'impression de perdre toute trace de timidité en face de lui, aucune pudeur. Mes émotions ne sont même pas cohérentes. Un instant je le déteste, l'instant d'après nous rigolons tous les deux.

Je marmonne une insulte, malheureusement pour moi il l'a entendue au vu de ses poings qui se serrent sur le volant. Il prononce aussi quelque chose de méchant dans sa barbe. Ses lèvres sont pincées et ses sourcils froncés.

— Je te déteste. Je te hais. T'es la pire personne que j'ai jamais rencontrée.

Ce que je viens de dire me choque moi-même, c'était horrible et un mensonge. La vérité c'est que je m'accroche de plus en plus à lui je le sens, chaque fois où on rigole ensemble, chaque moment où on se parle comme deux amis me font l'apprécier un peu plus. Et depuis hier soir je ne le hais plus du tout, j'arrive à le comprendre, lui et ses réactions. Je ne suis pas son amie.

Je pense que d'avoir passé ces dernières quarante huit heures ensemble nous a rapprochés et largement permis de commencer à se connaître. Ce n'est pas juste que l'on passe du temps tous les deux depuis deux jours. C'est que chaque minute qui passe nous la passons ensemble. Alors les choses vont sûrement plus vite que quand on rencontre quelqu'un au lycée et qu'on devient amis semaines après semaines. Dans notre cas, le processus est accéléré. De plus, on se connaissait déjà plus ou moins. Et nous avons des points communs, des éléments nous unissent. Pas forcément pour le meilleur. C'est même pour le pire. Mais les conséquences sont sûrement plus fortes. Les conversations comme dans le parc tout à l'heure nous rapprochent bien plus que n'importe quel autre sujet de discussion que l'on pourrait avoir.

Alors non. Je ne peux pas dire que je le déteste, que je le hais. Car sinon je ne lui parlerais pas. Je ne le laisserai pas aborder le sujet des psy et de ma condition mentale. Je crois même que je tiens à lui plus que je ne veux me l'avouer. J'ai bien compris qu'il était ma bouée de sauvetage. Et je suis en train de me noyer. Alors je dois m'accrocher à lui et le laisser me sauver.

— Content de le savoir.

Il répond après quatre secondes de silence, j'ai espéré qu'il n'était pas concentré sur moi. Je me tourne dos à lui. Même lui ne pense pas ça de moi, j'en suis sûre. Nos conversations étaient bien trop intimes et personnelles aujourd'hui pour que l'on se déteste.

Pour PélagieWhere stories live. Discover now