32 - La vérité de Marco

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Le regard dans le vide, d'un ton monocorde, Marco se mit à déblatérer sa vérité. La perception des évènements différait vraiment selon les sensibilités de chacun.

Un évènement, trois points de vue.

La première fois qu'il l'avait vu, Marco avait pensé que Camille s'était déshabillée pour lui. Il avait cru déceler un regard plus appuyé sur sa personne quand elle s'était figée face à eux dans sa tenue de parfaite catholique à la sortie du bosquet, juste avant son effeuillage. Il avait alors stoppé son mouvement sur le manche de sa guitare, prétendant avoir été ébahi par la beauté de cette apparition inattendue. Son cœur s'était serré dans sa poitrine. Sans pouvoir l'expliquer, il avait eu un véritable coup de foudre pour la demoiselle qui s'était présentée à eux avec la conviction de vouloir être autre chose que ce que son apparence laissait présager. Il était resté immobile d'admiration devant chacun de ses gestes, sans savoir que ça allait causer sa perte.

Pierre avait été le plus prompt à réagir. Il l'avait devancé et pendant très longtemps Marco s'était dit que ça avait été l'instant où tout s'était joué. S'il avait été le premier à se lever, il aurait peut-être pu être l'élu.

Très rapidement, il avait compris qu'il avait loupé le coche et avait estimé qu'il lui serait difficile de rattraper cette erreur. Il avait vu dans le regard que son ami et la jeune aixoise avaient échangé cette alchimie qui n'existait qu'entre deux âmes sœurs. Pour Marco, le début de l'histoire de Pierre et Camille avait commencé quand son acolyte parisien avait posé son gilet sur les épaules de la nymphe de Provence. Celui qu'il avait considéré longtemps comme son ami avait alors trouvé un surnom magnifique à celle qu'il aurait volontiers courtisé. Il aurait été présomptueux de sa part à ce moment de l'histoire de croire qu'elle puisse le choisir plutôt que Pierre. Ce dernier savait manier les mots et Marco avait tout de suite eu parfaitement conscience de n'avoir aucune chance sur ce terrain. Malgré ça, il n'avait pas perdu espoir.

Sa plus grande qualité avait toujours été de pouvoir jouer et chanter des chansons, malheureusement écrites par d'autres. Il n'avait jamais eu la fibre créatrice. Le premier soir, il se souvenait d'avoir joué des morceaux lents qu'il avait trouvés mélodiquement sexy. Il n'avait pas forcément prêté attention aux paroles, car à l'époque il n'avait aucune idée du niveau de compréhension en anglais de Camille. Il avait tout misé sur le pouvoir d'attraction que pouvait procurer son don pour la guitare sur les femmes. Il avait eu envie de se battre jusqu'au bout pour la conquérir, même s'il avait estimé très minces ses chances d'y arriver.

Camille avait commencé à se déhancher sur les rythmes que Marco lui avait imposés grâce à la dextérité de ses doigts et la chaleur de sa voix. Il avait aimé la voir danser avec les flammes de leur feu de camp. Il lui avait trouvé la grâce d'une gitane capable d'ensorceler son public rien qu'avec les mouvements de son bassin. Marco avait été subjugué par son Esméralda.

Mais cette fois encore, Pierre l'avait doublé. Marco n'avait pas anticipé le fait que celui qui tenait l'instrument ne pouvait pas être celui qui pouvait enlacer. Il n'avait baissé la tête que quelques secondes, le temps de vérifier le bon positionnement de ses doigts sur les frettes de sa guitare, et quand il l'avait relevé, le poète et sa lyre s'embrassaient.

Il n'avait pas vu le geste de rejet de Camille. Il venait de perdre la partie, c'était tout ce qu'il avait eu en tête. Il s'était décidé à arrêter de jouer pour aller se coucher, vexé d'avoir été transparent aux yeux de Camille. Dans la pénombre, Marco avait écouté leur conversation du mieux qu'il avait pu à cause de la respiration alcoolisée de Patrick. Il avait tout de même réussi à entendre que Pierre avait réussi le tour de force de pouvoir s'allonger près de celle qui les avait chamboulés. Encore une défaite pour le guitariste.

Loin d'être découragé, Marco avait préparé sa contre-offensive. Sa ligne d'attaque totalement assumée avait été d'une simplicité enfantine ; il fallait que Camille se méfie de Pierre. Il avait donc écrit un mot à l'intention de la jeune femme laissant planer le doute sur la probité de son compagnon. À son grand désarroi, cela n'avait eu aucun effet.

La journée à l'étang avait fini de ruiner tous ses espoirs d'être remarqué d'une autre manière que par de l'amitié. Ils avaient ri, chahuté, bronzé nus au soleil, mais Camille n'avait eu d'yeux que pour l'écrivain et non pour le musicien. La plume avait vaincu les mélodies.

Le seul moment de gloire qu'il mettait à son crédit concernant cette journée ensoleillée était le baiser que Camille avait déposé sur sa joue. Il l'avait électrisé et avait éveillé en lui des pulsions érotiques qui avaient très vite été refroidies. Le soir même, il les avait encore entendus parler entre eux dans la tente d'à côté, puis le silence s'était fait et pour lui ça avait été encore pire. Il les avait imaginés, enlacer corps contre corps et ça l'avait rendu fou.

Camille se rappela que Pierre avait également évoqué ce baiser qu'elle avait trouvé fugace et ordinaire. Elle n'y avait mis aucune intention particulière, car elle l'avait fait dans l'action du moment. Elle trouvait étrange qu'un évènement dont elle se rappelait à peine ait pu susciter autant d'émoi chez ses prétendants.

La jalousie était un ennemi terrible et incontrôlable. Aussi, quand Pierre avait proposé du LSD à leur groupe le premier soir du festival, Marco avait insisté pour que Camille en prenne. Grâce à ce plan improvisé, il avait voulu que Camille soit trop défoncée pour s'offrir à celui qui se prétendait déjà être son bien-aimé. Il avait attendu qu'elle perde le contrôle pour lui glisser dans le creux de l'oreille qu'il fallait qu'elle se méfie de Pierre, comptant sur le subconscient de la demoiselle pour faire un travail de déconstruction de ses sentiments. Le doute était une arme redoutable. Le mot qu'il lui avait laissé dans sa tente, ajoutée à cette affirmation, aurait dû être une arme de dissuasion massive suffisante pour servir sa cause.

Et puis, il y avait eu un changement inattendu dans l'attitude de Camille. Il aurait pu mettre ça sur les effets de la drogue, mais ça n'avait ressemblé à rien d'habituel. Au début, la jeune femme avait été perdue, désorientée, fascinée par ses propres doigts, puis elle avait longuement touché son visage comme si elle se redécouvrait. L'expérience de la confusion était dans l'ordre des choses avec les hallucinogènes. Pierre était partie vivre son trip vers d'autres rivages. Marco était resté seul avec la novice du décollage par substance illicite interposé. Il s'était d'ailleurs dit que son camarade avait fait preuve de négligence sur ce coup-là.

Tout d'un coup, Camille s'était redressée. La tête bien droite et le regard vif, elle s'était tournée vers lui. Il n'avait fait aucun doute qu'elle avait de nouveau les idées claires, alors qu'une seconde auparavant elle aurait pu s'écrouler au sol au moindre coup de vent. Elle avait paru différente, plus sexy. Plus confiante aurait été un terme plus juste. Une vague de confiance en soi pouvait rendre une femme timorée plus désirable. C'était son point de vue. Elle lui avait donné l'impression d'être quelqu'un d'autre.

Sans qu'il s'y attende, cette nouvelle Camille l'avait embrassé avec fougue. Puis elle l'avait entrainé sur leur camp sans dire un mot. Il s'était laissé faire quand elle l'avait poussé sur son matelas. Il n'avait pas résisté quand elle avait commencé à déboutonner son jean. Il avait été subjugué par son corps quand elle s'était déshabillée à son tour et qu'elle lui avait fait l'amour. 

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant