40 - Bienvenue !

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Camille entendit tout d'abord un bourdonnement. Elle avait l'impression qu'il venait des vibrations qu'elle ressentait dans son siège. Était-ce la raison pour laquelle elle était nauséeuse ? Ses tympans étaient collés, comme lorsqu'elle plongeait sous l'eau. La sensation n'était pas agréable, sans être douloureuse. Elle faisait confiance à ses sens et ceux-ci tiraient le signal d'alarme en attirant son attention sur l'instabilité de son environnement.

Elle ouvrit les yeux.

Devant elle, des rangées de sièges bien alignés. Sur sa droite, un hublot.

Un avion. Elle était dans un avion. Elle n'avait jamais pris ce genre de transport, car elle s'était toujours demandé comment ce miracle pouvait être possible. Ça lui avait toujours fait un peu peur. Seul le doigt de Dieu pouvait ainsi les maintenir entre la vie et la mort. Et elle savait que ce dernier était plutôt du genre taquin. Néanmoins, maintenant qu'elle était devant le fait accompli, elle ne ressentait aucune crainte. Tout d'abord, le dieu de son père l'avait lâché il y avait très longtemps en détournant son regard d'elle. Ensuite, elle avait assimilé le fait que c'était en se confrontant aux choses qui nous paniquaient que l'on comprenait qu'il n'y avait aucune raison d'être effrayé. Elle s'était souvent dit qu'elle ne visiterait jamais le monde avec ce genre de phobie et voilà qu'elle volait au-dessus d'une immense étendue d'eau. Vers quelle destination ?

Camille chercha autour d'elle un indice lui permettant de connaître son lieu d'atterrissage. Son regard se posa alors sur sa tablette. Il y avait une lettre de plusieurs pages. Un crayon était posé juste à côté. Ça ne faisait pas de doute que Cam venait de l'écrire, juste avant de lui rendre le contrôle. Qu'allait-elle apprendre sur sa vie ? Elle avait fait le choix de la laisser gérer. Elle espérait ne pas avoir à le regretter.

« Bienvenue.

Bienvenue dans ta nouvelle vie !

Tout d'abord, je tiens à m'excuser, car ça m'a pris un peu plus de temps que prévu. Je ne vais pas te faire languir trop longtemps et te donner les informations essentielles. Je rentrerais ensuite dans les détails.

Tout d'abord, la date. Nous sommes le 25 décembre 1979, soit trois mois après que tu ais décidé que j'étais celle qui avait les solutions pour reprendre notre vie en main. Joyeux Noël ! Tu trouveras un petit cadeau de ma part dans ton sac à main. Mais ne l'ouvre pas tout de suite s'il te plaît, même si je suis consciente que je ne pourrais pas t'en empêcher. Attends que je te dise de le faire !

Ensuite, notre destination. Comme tu as pu le constater, tu es dans un avion. N'est-ce pas une invention prodigieuse ? Nous volons depuis un peu plus de deux heures en direction de New York. Il reste donc environ 5h de vol.

Voilà pour le contexte. Maintenant, laisse-moi t'expliquer ce qui t'attend. »

New York. Camille n'arrivait pas à croire que ce soit possible. Quelle mouche avait piqué Cam ? Sa vie était en France, même si elle était morcelée, tout la rattachait à son pays. Partir c'était se déraciner. Elle n'aurait jamais pensé qu'elle lui ferait un coup pareil. La faire changer de continent, c'était de la folie.

Elle s'empressa de continuer sa lecture avec appréhension. Qu'est-ce que Cam allait encore lui apprendre ? Elle était capable de tout, contrairement à elle.

« Pas de panique. Je t'imagine déjà stresser sur ton fauteuil. Je n'ai rien fait que tu n'aurais fait si tu t'en étais senti le courage. Tu connais les règles de mon existence. J'ai respecté tes désirs. Cette fois, j'ai aussi un peu pris en compte les miens. Vu que ceux-ci ne sont que ceux que tu refoules au plus profond de toi, tu ne m'en voudras pas. Tout du moins, je l'espère.

Quand j'ai pris le dessus, ma première initiative fut d'écrire à Jean-Luc. Sa proposition de faire de nous son associée aux États-Unis était plus qu'intéressante. Je ne vois pas pourquoi tu l'as déclinée, ou plutôt si. Et encore une fois, il faut que tu apprennes à vivre plus instinctivement au lieu de te mettre des barrières. En plus, c'est quelque chose que tu as déjà fait. Tu as eu le courage de quitter ta famille pour partir à l'aventure en 1970. Je sais que ça ne s'est pas forcément bien passé. Et encore, tout est relatif, car tu t'es émancipée de la dictature patriarcale pour connaître l'amour. C'était plutôt positif. C'est après que ça a merdé, mais on ne va pas revenir là-dessus. Le passage à l'âge adulte n'est simple pour personne. Nous avons eu notre parcours, certes chaotique, maintenant il faut apprendre à vivre avec et avancer. Il n'y a pas de fatalité. La vie que tu vas te construire ne sera pas forcément vouée à l'échec. Et je t'ai mis sur de bonnes routes.

Tu te doutes bien que nous avons accepté l'offre de Jean-Luc. C'était trop tentant. Qu'aurais-tu fait de ta vie à Aix ? Tu n'aurais jamais eu une offre d'emploi aussi idéale. Tu vas travailler dans la Grosse Pomme dans un domaine plutôt sympathique et que tu maitrises.

Alors, pourquoi New York et pas San Francisco, tu vas me dire ? J'y reviendrais plus tard, même si je suis persuadé que tu sais déjà pourquoi j'ai choisi cette ville.

Une fois ce deal effectué. Je suis parti à Paris. J'avais besoin d'avoir des renseignements et pour cela je devais retrouver la seule personne qui les avait.

Avant d'aborder ce passage de l'histoire, le hasard a voulu que je fasse une rencontre dans la capitale. Alors que je cherchais un hôtel. Ah ! D'ailleurs tu pourras remercier ton frère de nous avoir financés ces derniers temps. Il a été très compréhensif quand tu lui as demandé de t'aider à reprendre ta vie en main. Au fait, je t'imite très bien, ils n'y ont vu que du feu. Ça n'a pas été si difficile, j'ai tout simplement évité de jouer les pestes.

Donc, je te disais. Alors que je cherchais où me loger à Paris, j'ai rencontré une vieille connaissance. Tu te souviens de Mireille, celle qui t'avait donné une robe à Aix pendant le festival. Celle qui t'appelait la catho. Bon, ce n'est peut-être pas le meilleur souvenir d'elle. Bref, elle est arrivée face à moi sur un trottoir, sortant de nulle part les bras grand ouverts, en disant « mais c'est pas vrai » et « c'est dingue » d'une voix puissante, comme si nous étions amis de toujours. Je suppose que certaines personnes ont besoin de se raccrocher à d'autres par frousse d'être seules. Malgré son approche maladroite et bruyante, je l'ai trouvé très sympathique. Elle s'est proposé de me payer un verre et nous nous sommes installés à la terrasse d'un café. Nous avons discuté plusieurs heures. Si un jour tu la croises, c'est important de le savoir, elle est désormais une amie proche.

Mireille m'a aidé à trouver un logement, mais aussi à retrouver Pierre. »

Camille sentit son cœur se serrer. 

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant