Chapitre 2

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LUI

Elle est assise sur un banc aux cotés de Nick. Force est de constater que depuis qu'elle est apparue, il semble aller de mieux en mieux. Quelques obstacles restent à franchir mais son état d'esprit est incomparable à celui qu'il était quand il est arrivé.

Je me souviens encore de son appel, ce soir-là. Sa voix était calme, beaucoup trop au vu des événements qui s'étaient déroulés durant les dernières semaines. Il avait perdu, dans un tragique accident de voiture, toute sa famille, dont Kate sa jumelle. Un chauffard ivre les avait percutés sur le trajet qui les rapprochait de leur fils, de son frère. Pris d'une terrible angoisse, j'avais couru jusqu'à son appartement, défoncé la porte pour entrer et l'image de son corps inerte revient parfois dans mes plus sombres cauchemars. Il était promu à un brillant avenir, un génie de l'informatique capable de tout mais ce soir là tout avait volé en éclats.

Je me revois lui apporter nerveusement les premiers gestes de secours puis porter son corps lourd jusqu'à ma voiture pour l'emmener à l'hôpital le plus proche. Je ne pouvais décemment pas le perdre, sans quoi c'est ma vie qui se serait définitivement brisée. A la suite de son hospitalisation, je lui avais proposé de venir ici, certain qu'il y serait bien traité. Et après cinq longues années, sur ce banc en sa compagnie, je retrouve enfin le regard vif et rieur de mon ami. Je ravale mon sourire attendri et me recentre sur la femme que je suis venu chercher.

- Mademoiselle Jones, pourriez-vous me suivre, je vous prie. Lancé-je assez froidement.


Elle sursaute et en expirant la fumée de sa cigarette manque de s'étouffer. Je me concentre un instant pour contenir difficilement l'étirement de mes lèvres derrière mes mâchoires serrées. Le contrôle reprit sur sa respiration, elle s'exécute sans rechigner et me suis jusqu'à l'intérieur du bâtiment. Une fois seuls dans les couloirs, elle s'avance à ma hauteur, l'étroitesse du lieu fait qu'elle se rapproche un peu plus de moi. Frôlant à plusieurs reprise mon bras, mon corps se crispe déstabilisé par tant de proximité.

- C'est à quel sujet ? Me demande t-elle curieuse.

- Je crois que vous vous en doutez Mademoiselle Jones.

Elle me sourit, loin d'être dupe. Nous arrivons devant la porte sur laquelle trône un rectangle argenté nommant le propriétaire des lieux. Je frappe trois coups et attends la voix qui m'invitera à entrer. Elle me scrute silencieuse et je plante mes iris dans les siens durant ce que j'imagine être quelques secondes. La voix nous invite enfin à entrer mais aucun de nous ne daigne se mouvoir. Je la fuis depuis des semaines, entretiens mon professionnalisme mais cette soudaine proximité semble briser tous les murs que j'avais érigé. La voix résonne à nouveau dans le couloir, alors elle rompt le lien en me souriant encore une fois avant d'entrer sans une once d'hésitation.

La porte claque, je me retourne en marquant une pause, passe une main sur mon visage en grattant nerveusement ma barbe et reprends à mon tour le contrôle sur ma respiration tandis que je sens les battements de mon cœur se calmer, sans comprendre la raison de leur agitation. Je retourne à mon bureau, situé à l'opposé de la bâtisse lorsqu'un qu'un collègue m'alpague mais ses mots me semblent lointains. Distrait, je hoche la tête et réponds par des sons dénués de sens, jusqu'à entendre le nom d'un de mes patients.



ELLE

J'entre dans cette pièce que je ne connais que trop bien et remarque un léger changement de décoration. L'ambiance y est toujours aussi chaleureuse, quelques objets d'art africain trônent dans une vitrine, la bibliothèque dont le poids des livres fait courber le bois reste fidèle à elle même, mais un tableau inconnu, aux moulures dorées, représentant un panier de cerises renversées domine à présent la cheminée en marbre noir.

- Bonjour Edouard. Lancé-je, en analysant cette nouveauté.

- Bonjour Mademoiselle Jones. Je crois que nous avons des choses à nous dire. Dit-il en m'observant avec insistance.

Je me retourne et acquiesce simplement. Imaginant bien que les raisons de ma présence sont liées aux rumeurs qui circulent, je m'installe confortablement dans le sofa qui lui fait face.

- Je vous écoute Edouard. Lancé-je, sans lui masquer ma curiosité.

Il me regarde tendrement, recoiffe d'une main ses cheveux rebelles et grisonnants, puis attrape son calepin et un stylo élégant posé sur la table d'appoint accolée à son fauteuil en cuir brun.

- Comme vous vous en doutez, j'ai eu vent de vos prouesses littéraires et été très déçu d'apprendre ma mort.

Face au regard malicieux qu'il m'offre, un rire discret s'échappe de mes lèvres, suivi d'un léger haussement d'épaules.

- Comment avez vous su que James était mon fils ? Me questionne-t-il d'une voix plus sérieuse.

- Sérieusement Edouard, vous portez le même nom... L'information n'était pas difficile à trouver et vous avez tous les deux le même nez.

Sa main s'agite alors au dessus de son calpin avec une moue amusée jusqu'à ce qu'il relève ses yeux dans ma direction avec un soupçon de déception.

-Cela fait presque deux ans Mademoiselle Jones que vous êtes ici, deux années que vous ne parlez pas. Je n'ai jamais autant appris à votre sujet qu'en vous lisant.

J'attrape instinctivement le coussin solitaire à ma droite puis le tapote nerveusement. Je savais qu'il aurait vent de mon récit. Les gens parlent, beaucoup trop à mon humble avis. Toutefois, je ne pensais pas que Nick irait jusqu'à le lui donner. C'était mon jardin, presque secret. Un petit quelque chose qui avait pour seul et unique but de combler ses insomnies.

- Ne me faites pas croire cela Edouard, vous connaissez tout de ma vie. Lu, tous les rapports, vous savez tout. Soufflé-je agacée en reposant le petit oreiller à présent déformé.

- Et vous savez pertinemment que je connais les faits, mais je ne suis pas dans votre tête. D'ailleurs pourquoi avoir choisi d'être dans celle de James ?

- Je n'arrivais pas à y pénétrer, voilà tout. Bougonné-je.

- Hum...Je vois. Prenez vous vos médicaments ? Où continuez vous de les recracher?

Mon corps tendu se lève en silence pour faire le tour du bureau tandis que mes yeux scrutent la pièce en tournant en rond dans un mutisme volontaire. Je ne m'abaisserais pas à rétorquer, sachant qu'il connait parfaitement la réponse. On frappe alors à la porte, Edouard se lève vivement pour l'entrouvrir. La conversation n'est que murmures imperceptibles mais j'en comprends l'importance lorsqu'il me propose de déplacer notre séance à ce soir. J'accepte, ravie de fuir ce bureau, me laissant le temps de préparer ma défense lors mon prochain interrogatoire.



Dans son regardWhere stories live. Discover now