Chapitre 12

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LUI

Je suis curieusement enchanté à l'idée de la rejoindre ce soir, le silence quelque peu difficile après ma révélation maladroite n'a pas entaché les sensations certes malvenues que j'éprouve à ses côtés. Au contraire, il me rapproche de l'ultime vérité et du poids dont j'espère l'aider à se libérer.


Je comprends à présent son refus systématique de traitement, elle ne voulait pas apaiser son esprit, ni s'autoriser le sommeil, c'était son châtiment. Ses cernes maquillent son visage, c'est vrai, mais sa peau s'est délicieusement embrunie faisant ressortir ses iris lumineux qu'elle s'évertue à éteindre. Je revois encore son sourire sincère qui contraste avec ses joues baignées de larmes, son corps frémissant. La partie raisonnable de mon esprit reprenant le dessus, je tente de mettre un terme à l'image des souvenirs qui la concerne et tandis que je me pensais seul, divaguant au fil de mes pensées, une voix tonne dans mon bureau.

- James?

- Hum ? Lancé-je submergé par mes délicieuses rêveries.

- T'es loin là ! Ricane la voix.

Le contact du stylo s'écrasant sur mon front me sort soudainement de ma bulle et je ne peux qu'être amusé par la réaction de Nick qui s'esclaffe joyeusement en frottant sa tigrasse blonde.

- Désolé, c'était trop tentant.

- Bah tiens.

- T'étais au lac ? Demande-t-il curieux.

- Non, non, je songeais seulement à un patient.

Il s'affale sur le fauteuil, son regard fixe le mouvement de ses doigts qui glissent sur la tranche en bois de mon bureau, puis il relève sa tête dans ma direction en me narguant de son air malicieux.

- Je te connais, tu es certes très investi auprès de tes patients mais là ce n'était pas ça.

Je fronce les sourcils contrarié par sa fine analyse. Pour la première fois, sachant qu'il s'apprête à me balancer l'une de ses vérités, j'aurais préféré écouter son silence.

- Là, tu rêvais James. Je ne sais pas de quoi. Dit-il en se raclant la gorge. Mais ça avait l'air sympa.

- Quoi ? Rétorqué-je, comprenant sans difficulté son envie de m'en dire davantage.

- James, tu te la joues super pro et froid avec elle. A l'excès depuis le début. C'est tellement pas toi ! Lance-t-il en appuyant plus intensément sur son dernier mot.

Je toussote gêné par l'aveu de mon ami. Nick a connu toutes les femmes de ma vie, même celle de j'avais perdu, m'accompagnant les soirs difficiles dans le visionnage des souvenirs perdus. Alors il sait, parfois mieux que moi. Mais j'ai conscience qu'en sa présence je m'oblige à garder mon sérieux et à opter pour la froideur, hormis lorsque nous sommes seuls où toutes mes armures se fêlent. Et que je dois cesser mon comportement étranges pour ne pas attiser les soupçons, risquer ma carrière, décevoir mon père. Alors si je dois taire le émotions qui m'animent en sa présence, je le ferais. J'entends la voix du grand blond énoncer mon prénom, me faisant comprendre qu'une nouvelle fois, je suis ailleurs. En quelques clignements d'yeux, je vois apparaitre le corps athlétique et droit de de Nick qui me fixe avec inquiétude.

Alors je lui relance le stylo en guise de contre attaque et lève les bras victorieux en faisant tourner mon fauteuil de bureau lorsqu'il vient fouetter sa joue.

- Gamin va ! Raille-t-il, les traits faussement outrés.

Un partout. Si dans la plupart des cas j'ai l'ambition de gagner, avec elle je veux simplement participer.




ELLE

La journée m'a semblé durer une éternité, partagée entre l'envie de le retrouver et l'angoisse du contenu de nos futurs échanges. L'air est toujours aussi chaud, les bois desséchés que je traverse, craquant sous mes pieds semblent me crier leur douleur. Je continue mon excursion pour atteindre son chalet. Personne à l'horizon. Je m'installe sagement au bout du ponton, regardant la vue toujours aussi époustouflante.

Des bruits sourds, grinçants et rapides tonnent dans mon dos. En me retournant j'ai à peine le temps de voir James qui saute dans le lac. La surprise me fait me lever lorsque ma robe reçoit de fraiches éclaboussures. Il sort la tête de l'eau affichant un sourire juvénile et provocateur. Je n'ai pas le temps de répondre que mon corps se trouve emporté tandis que je lâche un cri strident, certainement insoutenable pour l'oreille humaine et me retrouve à mon tour baignée dans le lac.

Je remonte à la surface et fais face à Nick qui rit de bon cœur, pas peu fier de sa plaisanterie. Je l'éclabousse puis tente de le noyer vainement par pure instinct de vengeance. L'insouciance de cet instant est tellement parfaite et l'eau du lac que je m'interdisais jusqu'alors, définitivement exquise. Ayant bravé toutes les règles que je m'étais fixées en une fraction de seconde, mon cœur s'accélère, ma respiration devient difficile et je me sens m'évanouir, le corps aspiré par les profondeurs plus sombres.

Lorsque je me réveille difficilement, le plafond blanc clairsemé de bois confirme mes doutes quant à l'endroit où je me trouve. Les yeux encore mi-clos, je me sens faible et nauséeuse tandis que la main de Nick assis à mes cotés, caresse mes cheveux avec délicatesse.

- Elle s'est réveillée. Chuchote-t-il.

C'est alors que trois visages inquiets habillent tout à coup le plafond blanc.

- Ce n'est rien, ça va. Je n'avais pas fait de crise depuis longtemps. Dis-je, tentant de faire disparaitre leurs émotions.

- Eva, tu ne peux plus continuer comme ça. James t'as sorti de l'eau mais si tu avais été seule...Murmure Nick, le teint livide.

Me sentant particulièrement faible, je comprends en tournant la tête que je suis sous intraveineuse. Il semblerait que je leur ai fait peur. Et à moi aussi malgré tout. Cette seconde insouciance était si réjouissante que mon corps n'a pas supporté ce bonheur, me rappelant la promesse de mes interdictions. James a peut-être dit vrai, j'ai peut-être payé le prix de mes erreurs.

- Je crois que tu as raison. Je suis prête Edouard. Murmuré-je.

Son regard surpris s'emplie de satisfaction. Sa paume vient se poser sur ma joue et son pouce me caresse la pommette d'une manière que j'imagine être paternaliste.

- Je suis prête. Lancé-je à nouveau cette fois en regardant James, dans un dernier effort, sous l'effet des tranquillisants se dispersant dans mes veines.

Sa posture se tend, ses épaules se redressent avant d'acquiescer d'un hochement de tête discret. La thérapie va débuter, je serais sa patiente et je devrais me libérer sans condition, si je veux un jour revivre de tels instants.










Dans son regardWo Geschichten leben. Entdecke jetzt