Chapitre 9

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LUI


Les journées se suivent et ne se ressemblent pas, bien que toutes pluvieuses et finissant toujours de la même façon. Mademoiselle Jones, assise sur mon sofa répondant à mes sages questionnements, afin de ne pas la brusquer. J'avance petit à petit, gagnant sa confiance, du moins je l'espère. Ce n'est pas une situation aisée pour moi, cette pseudo thérapie officieuse, fissure quelque peu ma posture professionnelle habituelle, alimentant d'autant plus mes pulsions à son égard. Durant nos échanges, je m'oblige à taire les pensées qui m'obsèdent, à détourner mon regard lorsqu'il s'illumine ou s'attendrit. La découvrir dans ce cadre s'apparente sans nul doute à une douce torture. Elle fascine tout autant le professionnel que l'homme que je suis.


On frappe à ma porte et reconnaissant la voix posée de mon père, je l'invite à entrer. Il se met à errer dans mon bureau, les mains scellées dans son dos.

- Comment se passent les séances avec Mademoiselle Jones ?

- Nous avançons. Dis-je simplement.

- Tu ne travailles pas de manière conventionnelle avec elle n'est ce pas ? Me demande t-il dans un reproche tacite.

- En effet.

Il me souffle son mécontentement avant de s'arrêter à ma hauteur. Les lunettes aux bout du nez, les rides entre ses sourcils se plissent, tout son visage m'exprime sa désapprobation.

- Je ne réussirais pas là où tu as échoué en singeant ta stratégie. Le plus important c'est qu'elle se relève non ? Lancé-je froissé.

Je retire mon pull sous la chaleur écrasante de cette fin de matinée, l'été a repris ces droits et j'observe mon paternel contrarié parla situation.

- Tu joues à un jeu dangereux fiston. Dit-il en frottant l'arrête de son nez parfaitement droite.

Il ne m'a pas appelé une seule fois ainsi depuis ces vingt dernières années et cette soudaine dénomination irrite quelque peu mes méninges. Un bruit sourd me sort de cette situation pénible et je découvre le visage de Nick gêné dans l'entrebâillement de la porte. Je l'intime d'entrer d'un geste vif, ravi de pouvoir mettre un terme à cette conversation.

- Nous avions fini, n'est ce pas ? Dis-je en regardant Edouard.

Il acquiesce les sourcils froncés et sort en saluant le grand blond qui se dirige vers moi.

- Si j'emménage chez toi dans une semaine ça t'irait ?

- Bien sûr, je t'ai même installé un bureau pour que tu puisses commencer à bosser. Avoué-je, tandis que mon regard s'illumine.

Nick a décidé de se lancer en tant que programmeur indépendant, et j'imagine qu'il en avait déjà parlé à Mademoiselle Jones qui semble t-il s'en est inspiré pour son roman, faisant de lui un Hacker redoutable. Cette idée m'arrache un sourire amusé, tant il en aurait été capable. Je profite alors de la présence de mon ami pour calmer mes esprits, tout en écoutant son contentement suite àma révélation et ses projets, qu'il me détaille avec engouement.




ELLE

Lors de notre promenade matinale, devenue habituelle, Nick m'a informé qu'il allait vivre chez James et très égoïstement, je suis enchantée de le savoir non loin de moi. Il va reprendre sa vie, là où elle s'était arrêtée. Alors je l'entoure de mes bras en écoutant son amusement et le félicite pour son futur emploi avec un soupçon de taquinerie tout de même. Alors qu'il file à son rendez-vous avec Edouard, je décide de rejoindre le centre. En entrant dans la pièce commune baignée part la pénombre, les volets fermés confinant l'air frais, Luke qui discute avec Abi, m'attrape le poignet en me voyant passer à proximité.

- Dit, Eva, ce soir on fête mon anniversaire, tu serais d'accord pour venir ?

Je hoche la tête affichant un large sourire ravi puis m'enfonce dans les couloirs, regagnant ma chambre pour choisir le livre qui m'accompagnera cet après midi. Je n'écris plus. Je n'en n'ai plus l'envie, Nick m'a fait part de sa frustration. Je crois qu'il affectionnait son personnage, qui n'est autre qu'une copie de lui-même. Sans doute a-t-il apprécié se redécouvrir dans mon regard, plus affectueux à son égard. Il n'y a pas de fin, je voulais juste coucher sur du papier ma vie, dans un fantasme plus attirant, tenter de l'imaginer autrement, mais ce n'est que pure fiction. Cette Eva n'est qu'une chimère, courageuse et bien plus raisonnable. Alors j'ai abandonné, ce rêve tout aussi délicieux que douloureux en privilégiant la lecture de récits, aux antipodes de ma propre existence.


Le roman engloutit sous la fraîcheur du tilleul habituellement réquisitionné par la sophrologue de l'établissement, je me dirige vers le bureau de celui qui n'est pas mon aliéniste.

Il est au téléphone et lève son index, m'invitant à patienter le temps de terminer son échange. Je vagabonde dans son bureau dont la chaleur est particulièrement suffocante et malgré ma longue robe légère, je ventile de mes mains mon corps brûlant.

Il raccroche après plusieurs minutes et s'excuse en secouant à son tour le léger tissu en coton qui habille son torse.

- Mademoiselle Jones, j'ai relu votre histoire et je m'interroge sur le personnage d'Alec Reed. Me lance-t-il sans tergiverser.

Mon corps se fige et fixe le mur d'un vide angoissant. Je dois en parler, je commence à le comprendre, même si je ne mérite pas à mes yeux cette liberté partielle. Je frotte la cicatrice sur mon épaule, le visage fermé, affichant sans détour ma contrariété. J'accepte en mon for intérieur mais sans que tout ceci soit une thérapie, je neveux pas que ma réalité soit écrite noir sur blanc, je ne l'ai moi-même pas fait. Alors je brise encore une fois les règles entre mon psy et moi m'assurant du caractère officieux de mon aveu.

- Si vous acceptez de m'appeler Eva, demain je vous parlerez de lui. Murmuré-je, en espérant secrètement qu'il ne m'entende pas.

Il frotte ses cheveux déjà en batailles puis ferme ses paupières en tapotant ses doigts sur le merisier. Son hésitation indéniable, déclenche une léger frisson le long de ma colonne vertébrale, frisson qui au vue des température n'a pas lieu d'être, me laissant perplexe face à ma propre réaction.

- Si tout ceci n'est pas une thérapie, comme je l'envisage alors rien n'a été mentionné dans mon dossier. Ce sera une simple confidence. Avoué-je.

Il abdique et acquiesce d'un mouvement lent et silencieux. M'offrant pour la première fois, la facette énigmatique de sa personnalité. Je reste un instant pantoise, ne sachant pas comment interpréter son mutisme.

- Je suis navrée mais j'ai promis à un ami d'être présente à sa fête. Pour demain, ce sera au bord du Lac. Absolument rien d'officiel. Dis-je à voix basse.

- Entendu. Lâche-t-il en souriant.

Je tourne les talons en direction de la porte et pars rejoindre de la soirée, qui semble battre son plein, l'esprit tout aussi contrarié par sa réaction que par la mienne.




Dans son regardWhere stories live. Discover now