Les Valseurs

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Vendredi 11 juillet.

Benjamin n'avait d'yeux que pour elle. Il l'écoutait parler de sa folle semaine, à courir dans le tout Londres pour dénicher les histoires les plus intéressantes, les crimes les plus atroces. Elle en parlait avec tant de passion que l'inspecteur ne trouvait même pas ça gloque. La main délicate de la jeune femme se perdait de temps à autre dans ses cheveux, mais elle semblait combattre ce tic en la retirant rapidement.

— Et voilà les beignets de poulets, régalez-vous !
— Merci, Franck.

Le serveur les observait avec une certaine mélancolie, ce qui n'échappa pas à Luna.

— Il est célibataire ?

Benjamin manqua de s'étouffer, ne s'attendant pas à cette question.

— Euh, oui. Depuis peu. Une triste histoire.
— Oh, je vois.

Elle avait de la peine, ça se lisait dans son regard, et Ben ne put s'empêcher de trouver ça irrésistible. Elle ne connaissait pas son ami mais faisait preuve d'une tel empathie. Il se disait, tout en dévorant son repas, que cette fille était géniale. Il n'en revenait pas qu'elle soit en face de lui.

Pendant le repas elle le questionna sur l'affaire des amants de Soho, mais l'inspecteur connaissait bien son métier et préféra rester vague pour le moment. Il ne lui parla pas de la moquette intacte, ni de l'étrange sentiment qu'il avait par rapport à cela. Il ne raconta que les faits : un homme et une femme en plein ébats retrouvés morts dans une mise en scène douteuse. Luna aussi connaissait bien son métier et savait qu'il cachait quelque chose. Elle essaya de gratter des informations mais en vain, Ben était doué. Elle le regardait parler si sérieusement et ne rendit pas compte qu'un sourire se dessinait sur ses lèvres peintes en rouge. Il s'arrêta un instant, déstabilisé.

— J'ai dit une bêtise ? Demanda t'il innocemment
— Non, non, du tout.

Elle détournait le regard se sentant rougir. Elle ne s'était jamais sentie ainsi et ne savait pas trop comment réagir. Pourtant habituellement charmeuse, la jeune journaliste au fort tempérament, ne savait pas comment tenir tête à l'inspecteur.

— Je vais aller prendre l'air.

Elle sorti un paquet de cigarettes de son sac et se leva. Benjamin allait la suivre mais se fit couper par son téléphone qui sonnait.

— Inspecteur Lynch, j'écoute... Quoi ? Un autre meurtre ? Où ça ? Très bien monsieur, j'arrive.

Il raccrocha, surexcité, puis se rappela où il était et avec qui. Sur son visage se lisait sa déception, mais il n'avait pas le choix. Il attrapa ses affaires, régla pour les boissons et le repas, et sorti du pub rejoindre la jeune femme.

— Miss Burton ? Je vais devoir partir.
— Il y a eut un meurtre ?

Des étincelles s'allumèrent dans ses yeux verdoyants.

— En effet...
— Emmenez moi Benjamin !

Il fut surpris par cette proposition, à tel point que le rouge lui monta aux joues

— Je... Je ne peux pas faire ça...
— Oh allé, vous non plus vous ne voulez pas que ce rendez vous se termine ainsi et quoi de mieux qu'une enquête passionnante pour le finir ?

L'idée de prolonger la soirée avec sa belle lui paraissait douce.

— Bon très bien, mais je ne pourrais pas vous faire passer la scène de crime, ni vous parlez des détails.
— Ça me va, je me débrouillerai.

Luna, un large sourire aux lèvres, s'agrippa au bras de l'inspecteur. Celui-ci senti son cœur s'emballer. Elle était si proche de lui et son sourire était si beau.

Ils arrivèrent dans le quartier de Battersea une vingtaine de minutes plus tard. Benjamin et Luna se séparèrent au niveau du ruban de balisage. La petite rue fourmillait de monde : les agents de police débordés qui courraient partout, les curieux qui chahutaient pour savoir ce qu'il se passait, les ambulanciers qui peinaient à se frayer un chemin. L'inspecteur Lynch rejoignit son capitaine. Celui-ci lui fit un bref topo de la situation. Ben leva la tête pour apercevoir le couple encore suspendu. Il se figea un instant, puis se dirigea vers Kate Hamsten, la femme qui avaient découvert les corps. Elle était sous le choc et n'arrivait pas à parler. Elle ne cessait de répéter « on dirait qu'ils dansent ». Il savait qu'il ne tirait rien de cette femme et s'engouffrât dans l'immeuble pour rejoindre l'appartement. À sa grande surprise, Luna était là elle aussi. Elle avait fait du chantage au policier McMylan, un type bedonnant qui consommait illégalement de la drogue.

— C'est l'appartement de Monsieur, Ted Finnegan.
— Vous auriez dû rentrer dans la police, Miss Burton. Lui répondit il
— Ce n'est pas pour moi. Lui dit elle en rigolant.

Il lui demanda de se faire discrète et de ne toucher à rien, ce qu'elle fit. Elle observait dans son coin, son calepin à la main, et notait tout ce qu'elle voyait. Benjamin faisait de même, en silence il griffonnait chaque détail.

— On ne sait pas grand chose monsieur, la porte n'a pas été forcée et il n'y a aucun signe de lutte. Tout ce qu'on a trouvé c'est cela.

L'agent montra à l'inspecteur un pan de mur. Une partition y était dessinée.

— Ça à l'air d'être du sang monsieur, sûrement celui des victimes.

Il restait silencieux. Luna s'approcha de lui et lui chuchota

— Strauss, le Beau Danube bleu. C'est une valse.

Benjamin la fixa d'un air interrogateur. Elle haussa les épaules et tourna les talons pour quitter l'appartement. Il regarda par la fenêtre pour observer les défunts. La disposition des corps collait avec le morceau que la journaliste venait de lui dire. Il parti à son tour.

Elle était adossée au mur, à côté de la Clim, cachée dans la pénombre. Il alla à sa rencontre.

— Alors, monsieur l'inspecteur, quelles sont vos conclusions.

Il sourit légèrement.

— Je n'en ai malheureusement pas.
— Vous n'en avez pas, ou vous ne me les direz pas ?

Il ria de nouveau

— Honnêtement, je ne sais pas quoi penser de cette affaire, ni de la précédente. Je pense que le tueur est le même, mais le mode opératoire est trop différent.
— Cela dit, c'est encore un couple...
— Et les mise en scène sont du même acabit...
— Sans compter la musique classique.

Les deux enchaînaient les phrases, se complétant l'un l'autre, dans un élan naturel. Ils semblaient penser de la même façon et arrivèrent à la même conclusion.

— Il ne va pas s'arrêter là.

Ils échangèrent un regard complice. Ben se posa à côté d'elle et se laissa légèrement glisser sur le mur. Elle alluma une cigarette et lui en tendit une

— Oh non, je ne fume pas, merci.

Elle rangea son paquet sans rien dire. Ils restèrent là, en silence, aussi longtemps que le tabac se consuma.

— Je vais rentrer, Benjamin.
— Je vous raccompagne ?
— Non, ne vous dérangez pas, j'habite tout prêt.
— Ce n'est pas très sûr... Il pointa de la tête les corps bâchés qui pénétraient dans l'ambulance.
— C'est bien pour cela que je rentre seule. Lui répondit elle en riant légèrement.
— Je n'insiste pas alors.
— Bonne soirée Benjamin, merci pour le repas.
— Faites attention, Luna...

Il ne savait pas si elle l'avait entendu prononcer son prénom pour la première fois. Une mine abattu il rejoignit ses collègues.

Les ombres qui dansent Where stories live. Discover now