Chapitre 1

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— Teruki ! Reviens immédiatement !Ma mère me course à travers notre château, enfin celui de la Belle au bois dormant. J'ai trente ans, j'en parais seize, mais je me comporte comme une vraie gamine en cet instant. J'ai besoin de souffler, de me sentir libre. Ces murs m'oppressent, ma communauté vampire m'a trop couvée. Heureusement que mon père m'a enseigné la sagesse et l'art du détachement, et le plus souvent, j'y arrive. Mais les gênes de ma mère coulent aussi dans mes veines. Et parfois, telle la cocotte-minute, j'explose.Alors je cours.Je traverse la roseraie dont les statues de marbre de Kanine éclatent de lumière sous le soleil au milieu des roses blanches dont des larmes rouge sang perlent sur les pétales soyeux. On pourrait croire qu'elles sont vivantes et gorgées d'hémoglobine.— Teruki !Ma mère, essoufflée, peine à me suivre. Cette magnifique vampire-sorcière est vite semée. Ce n'est pas sa capacité physique qui fait sa puissance, elle a bien d'autres dons. Alors, je ralentis. Il est essentiel qu'elle puisse courir après moi. Elle ne m'a rien fait. Non, elle est même toujours la première à me défendre, à prendre soin de moi. Néanmoins, il m'est impossible d'enrager mon père, ce majestueux samouraï. Il lit mes pensées au fur et à mesure que je les formule. Il connaît mes besoins de décharger un trop plein d'émotions. Je le revois faire son petit sourire en coin, limite imperceptible, et se tourner vers ma mère en arquant un sourcil. Il sait à ce moment-là que cette dernière va en baver.Alors je ralentis encore pour entendre le souffle maternel derrière moi. Toujours, elle a joué le jeu avec le plus grand des sérieux. J'ai bien conscience que je la chagrine, qu'elle a peur pour sa chère fille, mais c'est plus fort que moi.Je trace maintenant sur les pavés de la cour, plus légère qu'une gazelle, direction ma liberté.— Ma chérie, reviens ! Crie-t-elle, en soufflant.D'ici quelques secondes, je m'envolerai et ma mère sera obligée de prendre une jeep pour me retrouver si elle le désire. Nous avons nos rituels. Mais pour l'heure, je suis frustrée.— Tu dois laisser Adam gérer les affaires de la meute ! Insiste-t-elle.— Mais je l'ai toujours aidé ! Il a besoin de moi ! Dis-je en me détournant à peine.Le visage maternel est crispé par l'essoufflement, mais surtout la contrariété. Je sens sa tristesse l'envahir. On me cache quelque chose. Je ne sais pas encore quoi. Mais l'atmosphère s'est alourdie dernièrement dans mon clan et chez les loups. Malheureusement, je ne lis pas les pensées, à l'inverse de mon père, mais je ressens l'ambiance, les émotions. Mes parents sont soudain devenus inquiets pour moi. La meute des Warous se tend dès que je suis avec eux.Que se passe-t-il ?Pourquoi ne me dit-on rien ?J'ai été très calme, comme mon père me l'a appris. Je me suis enfermée dans la sagesse, conformément à ce que ce responsable de clan vampire exigeait de moi et des siens. Être fille d'un des plus grands chefs et d'une sorcière-vampire est un sacerdoce de tous les instants. Je crois que les gènes maternels ont déferlé dans mes veines tel un tsunami. Cette partie impulsive chez elle, qui fait que tous restent sur ces gardes alors qu'elle a l'allure d'un joli petit bout de femme sans défense.— Je dois savoir maman !Je l'aime, ma mère. Pourtant là, elle ne peut rien pour moi.—Ne viens pas me chercher, s'il te plaît !Mon insistance l'arrête net.Ça et surtout le fait que je sois au bord de la terrasse du château. En dessous, mille mètres de vide pour nous protéger, nous isoler d'éventuels ennemis oubliés. Ma mère ne vole pas, contrairement à moi.— Teruki !Son cri déchirant m'attire les larmes aux yeux, tout comme sa souffrance de ne pas pouvoir davantage m'aider. J'élève mon champ électromagnétique. Mon corps s'empare de mille vibrations qui me caressent la peau. Mes habits tombent sur les pavés.Mes ailes blanches se déploient sous la lumière du soleil étincelante et mon corps se couvre de duvet tout aussi laiteux. Je fais un vol plané au-dessus de ma mère. Elle a déjà fait une boule de mes vêtements qu'elle chérit contre son sein. Ses yeux embués me font de la peine. Je ne souhaite pas la rendre malheureuse. Je m'approche de son visage pour lui caresser la joue, ramasser une larme, puis je descends en piqué dans un vol vertigineux.La brise me fait du bien, c'est comme si elle me lavait de tous mes soucis, m'allégeait de mes tourments. Je jette un coup d'œil à cette forteresse, tout en longueur, installée tout en haut d'une falaise de plus de mille mètres. Nous dominons toute la région à tous les points de vue. Mes parents, ces dignes chefs de clan Duroy, ont su amener une paix durable. Jamais des vampires n'ont vécu dans une telle harmonie avec une meute de loups-garous.Ma mère et sa descendante, Aveline, entretiennent les sortilèges pour éloigner les opportuns et les touristes qui, jadis, souhaitaient visiter le château de la belle au bois dormant. Ce territoire d'Allemagne est devenu secret même si toute une organisation s'est mise en place pour assouvir tous les besoins des vampires. Etsuko, la geisha de mon clan, et Léo, le Second de mon père, se partagent les interactions avec les humains pour garantir nos soifs et combler nos plaisirs.Je n'ai connu que cette forteresse depuis ma naissance. J'en maîtrise chaque recoin, tout comme ce village qui vit un peu à notre rythme et cette forêt qui nous entoure. D'un coup d'aile, je pivote et je file vers la meute, vers ma deuxième maison et mon compagnon, Adam, le fils de l'Alpha.J'ai fait la connaissance de ce jeune loup quand je n'avais que quelques jours. Chacun s'en souvient, je n'ai pas pu résister à goûter à ce divin fumet. Son sang sauvage pulsait dans ma bouche, dans mes veines jusqu'à ce que nos pères interviennent pour me faire lâcher mon repas. Il parait que je m'abreuvais un peu de toutes les créatures que je croisais. Peut-être que ce sujet de plaisanterie est exagéré. J'ai du mal à croire que je m'abandonnais à tant de gourmandise... Certains disent que je tiens ça de ma mère qui ne boit qu'à la veine. À la vérité, je dois dire que le plastique laisse un arrière-goût amer, alors je l'évite autant que possible.Maintenant, je sais me tenir... enfin presque.Je plane au gré du vent. Ses effleurements m'apaisent. J'aspire toutes les fragrances du ciel, les parfums de la forêt et même l'odeur de la terre. Ma partie animale est très forte et en ce moment, elle se rassasie et s'enivre.Puis, je redonne quelques coups d'aile pour rejoindre l'endroit où des vêtements m'attendent en permanence. Depuis toute petite, ma mère veille à ce que je puisse me rhabiller peu importe où je vais. Alors Maxence est chargé de renouveler ma garde-robe et s'assurer que je ne manque de rien. Il me suit à la trace, car tel le petit poucet, j'en sème partout.Je vole jusqu'aux arbres un peu au-dessus de mon altitude. J'élève à nouveau mon champ électromagnétique et mes deux pieds nus se posent dans les feuilles d'automne. Autour de moi, les jaunes et les ocres se chamaillent et recouvrent de plus en plus le sol. L'humidité de la mousse embaume. Je me confonds dans cette odeur boisée, mon essence naturelle.La nature, je l'adore, elle fait partie de moi, de ma magie.Je m'approche du bidon et quand j'ouvre le couvercle, je découvre un legging, une tunique et une paire de ballerines. J'enfile le tout et me dirige vers les habitations de la meute et plus particulièrement, vers celle de mon compagnon, Adam.

Sangs Eternels Forever - Tome 1: Le poids de l'héritageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant