Quand je passe beaucoup de temps à la Dalle, je suis gorgée de magie noire. Le déséquilibre qui s'opère en moi est inconfortable. Mes poils se hérissent et je deviens fébrile.Peut-être est-ce ce phénomène qui me rend si morose aujourd'hui ? Rien n'est moins sûr ! J'ai très envie de voir mon loup, mais que faire ? Quoi lui dire ? À l'intérieur, mon cœur est dévasté et mon plan de vie, complètement anéanti.Alors au lieu de me précipiter vers la meute, je remonte les couloirs pour aller jusqu'à l'atelier d'Aveline. Je la considère comme ma tante ou ma deuxième maman tellement elle est présente dans mon existence, et en moi aussi.Quand je pousse la porte de son antre, je suis soulagée de la trouver là, à vérifier le contenu de ses bocaux pour faire probablement une nouvelle potion. Il me revient immédiatement à l'esprit Paris et son herboristerie. Elle n'a jamais pu en ouvrir une, il y avait trop d'embûches pour une sorcière blanche mortelle et par conséquent fragile. Mais ici, elle a pu s'établir loin de tous les dangers. Miguel lui a créé son site internet et toute une plate-forme de visio pour consultation à distance. Elle est très à l'aise avec toute cette technologie et son agenda est bien rempli. Cette magicienne a une renommée internationale dans son domaine. Néanmoins, tout a été prévu pour qu'elle ne soit pas localisée.Entre la boutique que représente son herboristerie et ses rendez-vous en ligne, elle passe son temps à préparer des potions plus ou moins magiques et envoyer des plantes que nous avons traitées nous-mêmes. Elle a réalisé en quelques sortes son rêve et Miguel, très satisfait, est le plus heureux des vampires maintenant que sa compagne ne court aucun risque. Lui aussi, comme mon père, peut être un tyran de la protection rapprochée.J'admire Aveline qui se trouve devant moi. Elle rayonne sous la lumière du jour et sa magie blanche. Son aura jade s'auréole autour d'elle, lui donnant un air mystique. Sa chevelure d'albâtre brille de mille diamants célestes.— Teruki ! Dit-elle en se tournant vers moi, quand elle prend conscience de ma présence.Je me précipite dans ses bras et c'est sa magie blanche qui me percute. Aveline reste contre moi et je caresse ses cheveux pendant qu'elle câline mon dos. C'est le même gabarit que ma mère. Mon don se nourrit, s'équilibre en moi. Soudain, le besoin d'inspirer de l'air est trop fort, c'est comme un renouvellement qui se produit à l'intérieur de moi, un important nettoyage aussi. Je lève la tête et j'ouvre grand les yeux. Apaisée pour un temps, je recule et l'admire à nouveau.Cette sorcière est mortelle. Pourtant à 70 ans, elle n'a pas une ride. On peine même à lui donner un âge. Le sang de son compagnon vampire y est pour quelque chose. Nous avons tant de personnes hors norme dans la région.— Je veux renouveler certaines plantes... et si nous nous rendions dans la forêt, Teruki ?Quelle bonne idée ! Je hoche la tête, puis je me rappelle d'un coup que nous croiserons les loups. Je me rembrunis aussitôt. Aveline en comprend immédiatement la raison.— Je dois aller de l'autre côté, car les végétaux que je cherche ont besoin de beaucoup de lumière et de soleil. En lisière de forêt, ce serait sans doute parfait. Tu me conduis ?— Désires-tu te changer ?Ma sorcière porte une longue robe blanche dont la souplesse du tissu lui assure une mobilité totale.— Je vais juste enfiler mes bottes et mon pardessus.Je rigole en la voyant mettre ses bottes fourrées en caoutchouc vert à grosses fleurs roses. Un cadeau de mère qui pourvoit au moindre de ses besoins, même ceux dont elle n'a pas fait état. Personne ne peut vampiriser Aveline. De temps à autre, la tristesse maternelle déborde, j'essaie de prendre du détachement pour ne pas me laisser engloutir par toutes les idées farfelues qui germent dans la tête de notre Sama.La magicienne enfile un pardessus rempli de poches. Ces dernières servent à rapporter tous les végétaux ou minéraux qu'elle trouve sur son chemin quand elle n'a pas de panier. Celle-ci est à l'écoute de l'Univers en permanence. Elle la sent au plus profond d'elle. Combien de fois je l'ai vue cueillir une plante ou ramasser ce qui me semblait être un caillou ordinaire ? Elle a une omniscience avec la nature que je suis loin d'avoir. Mes sens s'arrêtent à mes instincts de prédateur. Aveline me dit que je dois m'ouvrir davantage à mon environnement, que j'ai les mêmes capacités qu'elle... vraiment ? Je ne les ai pas encore trouvées ! Malgré tout ce qu'elle enfourne dans ces poches, son pardessus est toujours blanc, immaculé. Ça aussi, c'est un mystère.Nous empoignons chacune un panier en osier. L'ascenseur nous descend en sous-sol. C'est tout un village souterrain sur plusieurs niveaux, qui nous permettrait de nous replier ici, si sous étions en danger. Cependant, nous filons vers les parkings et je prends une jeep. Les clés sont sur place, tout est ultra sécurisé.Nous sortons paisiblement à l'air libre et roulons à l'opposé de la meute. Je m'enfile de grandes goulées d'air par le nez. J'aspire chaque fragrance. Nous sommes dans un milieu préservé par les sorts scellés pour éloigner les curieux. Nous descendons tranquillement dans la vallée.Soudain, Aveline me demande de m'arrêter. Elle a dû sentir une présence de la nature indispensable à stocker dans son atelier. Je m'exécute sans poser de question. Je la connais, elle sait que ce qu'elle recherche est proche. Je me gare sur le bas-côté et je la suis, tout en l'aidant à sauter un fossé.Aveline se déplace d'instinct, sa magie se déployant autour d'elle. Ce phénomène me fait penser à mes radars de chauve-souris. J'émets des ondes et ces dernières me renvoient de l'information. Je n'ai pas autant de puissance que la magicienne blanche et je ne fonctionne pas vraiment comme elle. Mes dons de vampire et sorcière ont totalement fusionné. Cela a été l'occasion de nombreux exercices avec ma communauté pour apprendre à exploiter mes capacités bien particulières. Je les maîtrise bien maintenant, enfin celles que je connais.— L'aconit pousse toujours ici, me montre-t-elle.Je regarde cette plante qui tue les vampires. M'anéantirait-elle aussi ? Probablement que oui, car au fond de moi, mes instincts m'invitent à m'écarter. Alors quand je la vois en ramasser, je ne peux que réagir ? Son agilité est surprenante : une main munie d'une pince pour emprisonner le végétal mortel, l'autre d'un sécateur, elle plonge l'aconit dans le sachet que je lui présente.— Pourquoi en ramener au château ?— L'aconit a bien des propriétés, on ne sait jamais..., dit-elle en scrutant le ciel.Voit-elle des présages de mauvais augure ? J'ai beau étudier les nuages, je ne discerne rien. Pourtant, je n'insiste pas. Aveline est incapable de faire du mal à une mouche ou même une araignée. Cette sorcière blanche est la gardienne de la vie. Je pose délicatement le sachet dans mon panier et j'observe cette grande dame poursuivre sa quête pour remplir ses bocaux.Nous reprenons notre balade et je m'arrête quand elle trouve à nouveau le végétal qui lui faut.— Regarde de la strychnine ! S'exclame-t-elle.Je ne me souviens plus de cette plante. J'ai été une très mauvaise élève en phytothérapie. Aveline se relève et me scrute, interdite devant mon ignorance. Je hausse les épaules, penaude. Je ne peux tout de même pas tout retenir et j'ai tellement de temps pour apprendre.— C'est le seul végétal qui tue les garous, Teruki.Je sursaute. C'est vrai, je me rappelle maintenant. C'est d'ailleurs pour cela que la meute s'est installée de l'autre côté du versant de la montagne. Là-bas, il n'en pousse pas.Aveline se penche à nouveau et commence à prélever un échantillon. Il me vient alors l'idée que cette plante pourrait éliminer toute rivale chez les Warous. Je souris devant cette possibilité. Mon palpitant tambourine dans ma poitrine à la pensée que je pourrais reprendre cette place que j'avais prévu depuis si longtemps. Mon rictus devient cynique, je le sens.— Teruki ! Contrôle ta magie !Je reviens ici et maintenant, laissant à regret mes théories de meurtre. Aveline fronce les sourcils de mécontentement, m'éloignant instantanément du côté obscur. Il n'y a que lui pour me glisser des ébauches de destruction. Pourtant, cela résoudrait peut-être tous mes problèmes. Je garde cette idée funeste dans un coin de ma cervelle.

Sangs Eternels Forever - Tome 1: Le poids de l'héritageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant