La Plume mécanique - tome 1

Chapitre 6

3 ans plus tôt

— Je reviens sur ce que je t'ai dit... Je suis désolé, Reaper, mais je ne peux pas !

J'observai Luther avec incompréhension. Tout était prévu depuis deux semaines au moins. Le lieu et le rendez-vous étaient pris. Le contact serait là dans dix minutes maximum. Et Luther me faisait une crise de panique à la dernière minute.

Plantée au milieu des escaliers de son immeuble, je l'étudiai, bouche bée. Luther fit demi-tour sans m'adresser un regard et gravit rapidement plusieurs marches. Je courus à sa suite pour le rattraper. Je passai devant lui et m'interposai entre lui et son appartement.

— Pourquoi changes-tu d'avis ? Nous nous étions mis d'accord, non ! On teste et si ça ne va pas comme on le souhaite, je ne te le demanderai plus jamais.

Ses yeux fuirent les miens. Quelque chose l'inquiétait et je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus.

— Je peux m'y rendre seule, tu sais... Il suffit que tu me dises à quoi il ressemble et je m'occupe du reste s'il n'y a que ça qui te dérange, tentais-je maladroitement.

Il releva enfin son regard vers moi.

— Ça n'a rien à voir et tu le sais. Ce n'est pas que j'y aille le problème...

— Alors c'est quoi ? lui demandais-je avec incompréhension. Je t'ai déjà expliqué que j'étais prête à prendre le risque.

— Tu es peut-être prête à le prendre, mais pas moi.

Il caressa délicatement du bout des doigts ma joue. Ce geste avait toujours eu un effet cathartique sur moi. Il arrivait à adoucir mon humeur, mais pas cette fois. Ici, ce geste avait pour seul but de me détourner de ma cible. Et je n'aimais pas ça.

C'était assez hypocrite de ma part au fond. Je jouais avec lui d'une certaine façon et il ne faisait que renvoyer la balle dans mon camp.

— Et alors quoi ? On laisse tomber, c'est ça ? m'exclamai-je frustrée.

Luther soupira. Ses épaules s'affaissèrent. Une immense tristesse envahit son visage.

— Tu n'as toujours rien compris n'est-ce pas ?

Je le regardai sans saisir où il voulait en venir. En réponse, il déposa un léger baiser sur mes lèvres. Des papillons se matérialisèrent immédiatement au creux de mon ventre. Je fermai les yeux, savourant l'instant.

Lorsqu'il s'éloigna de moi, la réalité me rattrapa. J'ouvris les yeux pour découvrir un petit sourire aux coins de ses lèvres. Parce qu'en plus, il imaginait effectivement que je céderais !

Instinctivement, je me mis sur la défensive. Je détestai lorsqu'il essayait de me manipuler pour arriver à ses fins. C'était très mal me connaître s'il pensait que je me laisserai faire de la sorte.

— Explique-moi alors si je ne comprends rien, lâchai-je vexée.

Le sourire disparut de son visage qui devint à nouveau sérieux. Il avait ce regard que je ne connaissais que trop bien : jamais il n'abandonnerait l'affaire. Il était aussi têtu que moi.

— Tu ne vas pas te rendre au lieu de rendez-vous...

Je fis mine de vouloir riposter, mais il m'en empêcha d'un geste.

— Tu n'iras pas, car je m'y rendrai seul. J'ai bien réfléchi et il est hors de question que tu t'exposes de la sorte. Tu as encore une chance de t'en sortir indemne Reaper. Ne gâche pas tout pour une stupide lubie ! J'ai beau n'avoir que dix-huit ans, j'ai déjà été mis sous surveillance plusieurs fois. Je n'ai plus rien à perdre alors que toi, oui...