L'Enfance : V

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Miss Mary Davis arriva à Arclif à la fin du mois de juin, il s'agissait d'une connaissance des parents, je n'appris que plus tard qu'elle avait en réalité des vues sur Lord Hartfield depuis le solstice d'hiver que nous avions passés chez lui. Au début, papa était embarrassé par sa présence, sûrement à cause de ce que je viens de vous expliquer. A chaque fois qu'elle quittait la pièce, il poussait un soupir. Mais cela avait fini par se calmer, et j'avais même cru déceler une bonne entente entre eux. Même moi, à l'époque, je n'avais rien vu. Je n'avais pas été étonnée lorsque Lord Hartfield était retourné chez lui sans dire au revoir à quelqu'un d'autre qu'à papa, après tout, il devait aider sa sœur à préparer son mariage avec un certain Mr. Knight.

Je crois que j'étais trop absorbée par mes propres préoccupations pour voir ce qu'il se passait autour de moi. J'avais onze ans, et je voyais bien que malgré les efforts que je faisais pour ne pas rentrer dans les mêmes cases que toutes les ladies, comme l'avait fait ma mère, rien ne se dessinait vraiment d'excitant pour moi. Depuis que j'avais battu George Beal, j'aspirais à quelque chose de plus grand. Je faisais tout ce qui me chantait, mais malgré mon jeune âge, je voyais bien que cela ne me menait à rien d'important. Rien de ce que je pouvais faire ne pourrait être reconnu, car rien ne pouvait être officiel, tout cela à cause de mon sexe. Je ne voulais pas seulement faire ce qui me plaisait, je voulais le montrer à tout le monde, mais si je le faisais on ne prendrait pas au sérieux, on me prendrait pour une folle.

Lord Hartfield était parti et je n'arrivais pas à me concentrer sur mon piano, ces pensées me revenaient sans cesse. Je finissais par passer ma frustration sur les touches.

― Humm, humm.

Je tournais la tête, c'était papa, il était venu s'asseoir sur le sofa et me faisait signe de venir à côté de lui. Je me levai et m'exécutais en traînant des pieds, étonnement il ne me dit pas que cela était impoli.

― Est-ce là un caprice ? demanda-t-il.

Un caprice ? songeai-je, non, cela n'en était pas un, car je n'avais rien à lui réclamer, ni à lui reprocher. D'ailleurs, je ne boudais pas pour réclamer les choses, je les exprimais à haute et intelligible voix. Je relevai les yeux vers le piano, à cela aussi, j'avais voulu être la meilleure, mais finalement, j'aspirais à mieux.

― Si ce n'est que cela, je peux m'en aller, me dit-il.

Alors, il se releva, mais je savais que c'était une feinte. Il revint rapidement se rasseoir en passa son bras dans mon dos.

― Il est dans ton intérêt de me dire ce qui ne va pas.

Je haussais les épaules, il avait beau être Papa, je pensais qu'il ne pouvait pas comprendre, après tout, il était un homme.

― J'insiste.

Je crois qu'avant cela, je ne l'avais jamais trouvé agacent.

― Croyez-vous vraiment qu'en insistant vous allez changer quelque chose ?

― Tu n'es pas muette, c'est déjà ça.

Maintenant, qu'il m'avait fait parler, je sentais que je n'aurais pas d'autre choix que celui de lui expliquer. Seulement, je n'avais pas envie d'en parler, cela n'allait avoir pour résultat que de confirmer mes inquiétudes quant à mon avenir inexistant.

― Vous vous croyez drôle ?

― Tu es trop jeune et trop intelligente pour jouer à ce jeu de la haine avec moi. Alors, vas-tu accepter de te confier à ton père ou préfères-tu continuer à te morfondre inutilement ?

Il fallait que je montre mon désaccord en soupirant et en le fusillant du regard.

― Vous allez trouver cela ridicule, mais je m'ennuie.

Violet SkyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant