Chapitre 4 - partie 2 - Étann

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— Tu n'as pas l'air très vif, mon garçon.

Je quitte des yeux le sol abîmé et observe la femme ridée aux cheveux gris et tressés s'avancer dans la cahute. Son front et ses joues sont colorés de traits blancs. Elle dépose son panier de plantes aux feuilles et odeurs différentes sur l'atelier.

Je plisse les yeux. Mon cœur ne s'est pas encore remis de l'intrusion précédente.

— Installe-toi sur le lit. Je vais changer ton bandage à la hanche. Awu ne t'a pas raté, ça c'est sûr.

J'approche du lit et une vague d'apaisement m'entoure soudain comme une couverture posée sur mes épaules. Je me retourne d'un coup. Apeuré.

— Il ne t'arrivera rien. Laisse-toi aller au soulagement.

Cette fois, mes sourcils se relèvent.

— Comment faites-vous ça ?

Ma voix est rauque. Je n'ai pas parlé depuis tant de temps.

— Faites-vous quoi ? dit-elle en arrêtant de pilonner les herbes dans son mortier.
— Pour faire ça. La dernière fois, le garçon a déclenché la même chose quand il est venu me voir... Lui par contre, il ne l'a pas fait.

Je ne sais pas si elle a compris de qui je parlais.

— Assieds-toi, demande-t-elle de nouveau en reprenant sa tâche. James-Karl... l'homme que tu viens de voir avec le loup, c'est ça ? ne fera pas ce que je viens de faire. Il est notre futur chef de meute, un Alpha issu de la famille Roé. Il n'est pas ravi de t'avoir dans les pattes, si tu veux tout savoir...

Un Alpha ? Je ne comprends rien. Ça commence à m'agacer.

— Inutile de m'imposer ton odeur de mécontentement. Je me doute bien que ça doit être compliqué pour toi, mais si tu veux réussir à survivre, tu ferais mieux de m'écouter. J'ai réussi à les convaincre de ne pas te tuer, mais avec ce que j'ai omis de leur annoncer, nous sommes en danger tous les deux, désormais. S'ils découvrent ce que je m'apprête à te dire, nous serons probablement bannis. Et aucun de nous deux ne souhaite ça, n'est-ce pas ?

Mon ventre se serre.

— Bannis ?
— Quel est ton prénom, mon garçon ?

J'hésite quelques secondes.

— Étann.
— D'où viens-tu, Étann ?
— Du village Lejsae. Où suis-je ?
— Perdu et loin de chez toi. Tu es en pleine forêt, au nord du lac Ilman. Quand Awu t'a attaqué, il t'a ensuite ramené dans notre village. Ce n'était pas censé se passer comme ça. Les humains ne survivent normalement jamais à une attaque. Nous les tuons tous. Mais il y a quelque chose chez toi qui a changé le comportement d'Awu.

Mon cœur s'emballe. J'ai atterri chez des autochtones sanguinaires ! Des assassins.

— T'a-t-on déjà raconté des histoires sur les loups quand tu étais enfant, Étann ?
— Oui, mon père. Il connaissait les légendes de nos forêts.

Elle me toise et semble en grande réflexion. Ses yeux me déstabilisent. J'ai l'impression qu'elle arrive à deviner mes pensées.

— Ce ne sont pas des légendes.
— Quoi ?

Une odeur de miel et de fleurs brûlées nous arrive aux narines.

— Rien ne sert d'avoir peur. Allonge-toi et défais ton bandage veux-tu ?

Je m'exécute, perplexe. Comment a-t-elle su que j'étais effrayé ?

— Nous sommes des Lycans, et toi aussi, tu en es un, dorénavant. Si tu connais nos légendes, cela veut dire que tu sais qu'autrefois les descendants des loups, les Lycanthropes pouvaient se transformer à leur guise en loup. L'Empreinte est l'âme et le lien entre tous les loups. C'est ce qui nous permet de vivre en meute et de communiquer. C'est en nous. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus nous transformer mais...

Elle lève les yeux au ciel et étale le baume qu'elle vient de préparer sur ma chaire encore infectée.

— Nous avons gardé nos modes de vie et nous sommes toujours capables de beaucoup plus de choses que les humains. Mais tu as dû t'en rendre compte, non ? Surtout quand je vois la lueur de tes pupilles. Sais-tu ce que ça veut dire ?
— Je...Je... Non. Je n'ai pas compris. Qu'est-ce que c'est l'Empreinte ?
— Je vais te montrer. Ça doit être encore très faible car tu n'as pas fini ta transition, mais je suis sûre que tu pourras le sentir.

Elle ferme les yeux. Une chaleur se déploie avec douceur dans mon abdomen puis prend toute la place dans mon ventre. C'est délicieux. Ça me traverse telle une nuée de papillons me donnant la sensation de flotter une seconde. Cette chaleur me tire à la vieille femme. M'appelle.

— Tu le sens très bien, n'est-ce pas ?

Quand je rouvre les yeux, elle me fixe encore avec intensité. J'ai cette impression bizarre qu'elle me scrute de toute part. Je n'ose pas dire que je n'ai eu aucun mal à ressentir ce lien. Ce qu'elle appelle l'Empreinte. Je crains que ce ne soit pas une bonne chose si je dis ça.

— Ne me mens pas.
— Oui, soufflè-je.
— D'abord tes yeux et maintenant ça... Tu ne connaissais rien de nous, tu dis ?

Je secoue la tête pour lui confirmer mon ignorance. Je comprends à peine ce qu'elle vient de me dire. J'ai du mal à croire que je suis moi-même en train de "transitionner". J'ai l'impression que je vais finir par me réveiller et quitter ce songe irréel. Comment pourrais-je devenir un lycan ? C'est ridicule. Il s'agirait de magie... de pouvoirs surnaturels.

— Ce n'est pas de la magie. C'est la déesse-lune. C'est elle qui nous a créés. Nous avons toujours existé. Nous ne faisons juste pas partie de votre réalité.
— Pourquoi ?
— Car les humains ont toujours été vus comme des traîtres. Le peu qui ont réussi à nous découvrir ont essayé de nous chasser. Nous ne les laissons pas vivre. De plus, toutes les meutes vivent dans des endroits reclus. Il serait impossible pour un humain de vivre à une telle altitude. Nos sens sont surdéveloppés, notre peau supporte des températures plus extrêmes, nous survivons depuis autant de temps que les humains. Nous sommes juste plus évolués.

Ça ne vous empêche pas de tuer de sang-froid.

Je réalise avec horreur que je fais partie de ce "vous" désormais. Vais-je tuer des gens ? Et mon père ? Je ne pourrais plus jamais le revoir. Non ! C'est impossible.

— Pourquoi me garder en vie ?
— Car il a été décidé que tu survivrais. J'ai tout fait pour en tout cas.

Je me redresse sur le lit sous la panique. Elle me regarde quitter la paillasse sans démontrer la moindre surprise.

— Je préfère mourir. Je ne veux pas devenir un lycan. Laissez-moi partir !

Avec l'angoisse, tous les maux s'intensifient dans mon corps et quelque chose crie en moi. Mon cœur me fait mal tellement il bat fort contre ma poitrine.

— Tu dois te calmer. Ton corps a encore besoin de repos. On lui en demande beaucoup en ce moment. Si tu n'arrives pas à...
— Taisez-vous ! grondé-je. Je dois partir d'ici.
— Tu ne survivras jamais dans la forêt et puis, si tu pars, James-Karl et son unité te trouveront en quelques instants tant ton odeur est forte. D'ailleurs, s'il découvre ton odeur. Tu seras mort dans tous les cas.

Sa dernière phrase a le mérite de me stopper net.

— Quoi ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a mon odeur ?

Je renifle l'air pour essayer de comprendre, mais ne distingue rien.

— L'odeur d'un Oméga.

D'OR ET DE JAIS - Tome 2 en 2024Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang