Immortels I : Déluge [Edité][Version intégrale Wattpad]

Un air de famille

Morphée était si bienveillant, si enivrant, qu'il était pratiquement impossible de se libérer de son emprise. Zelyan se laissait dominer par ce dieu. Dieu dont les pouvoirs étaient actuellement combinés avec ceux du dieu Dyonysos. Après tout qui était il pour s'opposer à la volonté des dieux? Belle manière de dire que la créature était avachie sur sa couche, complètement ivre et cuvait son vin dans un sommeil à la limite de l'inconscience. Il exhalait de sa bouche une odeur d'alcool mélangée à un fort arôme de fer provoqué par l'ingestion de sang. Les senteurs étaient tellement intenses qu'Ereyne en avait quitté le lit conjugal pour aller dormir sur la méridienne du dressing. Le petit meuble en gros coton bleu était certes moins confortable mais l'air y était plus pur. A leur image, la quasi-totalité du château était endormie, seuls les infatigables fantômes erraient dans les couloirs, laissant dans leurs sillages une légère fumée grise. La fête s'était terminée peu avant six heures, par conséquent les réunions du jour ne commenceraient que l'après-midi afin que tous puissent prendre un peu de repos.

Ereyne fut l'une des premières à se lever, dérangée par un rayon de soleil traversant une fenêtre mal masquée d'un épais rideau. Elle ôta la couverture qui lui avait tenu chaud ces dernières heures et descendit quelques étages plus bas. Elle ne se dirigea pas vers la petite salle à manger comme à son habitude mais prit la direction de la coupole. C'est ainsi qu'ils appelaient le sommet de la tour est, une large construction moyenâgeuse surplombée d'une grande coupole faite de verre, de fer et d'acier ajoutée en 1900. L'endroit offrait une vue imprenable sur toute la vallée noyée de soleil ce qui était précisément ce qu'Ereyne souhaitait avoir.

Zelyan avait annoncé avec fracas un prochain Déluge la veille mais cette journée n'aurait pas pu plus le contredire: un soleil faramineux rayonnait dans un ciel bleu sans défaut et s'évertuait à assécher toute la région. L'eau sur les toits de GreyHall renvoyait cette lumière comme un immense miroir, ajoutant à la magie des lieux. Quiconque s'arrêtant un instant pour regarder aurait vu un paysage resplendissant dans un florilège de couleurs, des verts tendre des jeunes pousses nées durant ce printemps au rouge éclatant des coquelicots. Ereyne laissa son regard se perdre un instant dans l'horizon, resserrant son long et doux gilet en cachemire contre son petit corps. Elle se rappela avoir passé des journées à contempler ce paysage alors qu'elle était la seule humaine à mille lieues à la ronde, en des temps reculés...

Zelyan l'avait quitté voici trois mois pour aller voir son créateur et l'avait sommée de rester près de la grotte en son absence, lui rappelant qu'ils avaient un accord avant de s'enfoncer dans l'étroit couloir noir du fond de leur grotte. Elle ne s'éloignait donc pas trop, pas tant à cause sa promesse mais plutôt à cause des habitants de la région. Zelyan avait beau être le prédateur de l'Homme par excellence, à l'heure actuelle Ereyne craignait plus la meute de loups qui rôdait dans la forêt en contrebas depuis quelques jours que celui qui était devenu son compagnon. Elle restait donc en retrait, à l'abri des rochers, écoutant tous les bruits de la campagne environnante. Néanmoins la nourriture allait venir à manquer et Zelyan ne réapparaissant pas, elle se résolut à aller chercher de quoi subvenir à ses besoins dans la forêt, silex en main.

Si l'on omettait le danger constant c'était un endroit agréable, de grands arbres feuillus se mélangeaient à de petits buissons touffus abritant une vie riche. Ereyne n'eut pas à marcher longtemps avant de trouver des baies comestibles mais, emportée par la joie que procurait l'endroit s'enfonça un peu plus dans les fourrés. Elle parcourut les recoins de la forêt durant une grande partie du jour, découvrant un nouveau ruisseau et un petit sentier en terre battue qu'elle suivit.

Elle arriva à ce qui semblait être un campement humain. Deux femmes d'un certain âge s'occupaient d'un feu tandis que trois autres tissaient de la laine de mouton tout en gardant un oeil sur une bande de marmots qui galopait en tous sens. Dans un coin, un vieil homme mâchonnait un long bout de bois qui lui servait d'appui. Lorsqu'ils la virent, les adultes arrêtèrent leurs activités et l'observèrent. Vêtue d'une tunique qu'elle avait elle-même confectionnée et d'une seconde pièce de tissu passée autour de son cou, Ereyne n'était pas très effrayante. De plus elle était propre, ce qui n'était pas le cas du vieux si l'on en croyait la mouche qui voletait à ses abords. Il lui fit signe d'avancer, ce qu'elle fit lentement, son silex bien au creux de sa paume droite. Le vieil homme sourit, dévoilant une bouche édentée.