Chap 37: pdv Aaron (présent)

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   Le lendemain soir, je restai posté sous les arbres en attendant la venue d'Auréa, mais elle ne vint pas. C'était la première fois depuis son déménagement qu'elle ne venait pas.

La première fois. 

Consterné, j'eus du mal à encaisser le coup. C'était comme si je venais de recevoir une gifle en pleine figure. J'étais assommé.

Je fixai ma montre avec appréhension. La frustration montait en moi doucement. Lorsque les minutes s'écoulèrent encore et encore, la frustration se métamorphosa pernicieusement en une colère bouillonnante. Je transpirais alors qu'il faisait froid et soudain, je me sentis comme emporté dans un énorme tourbillon.

J'étais tel un funambule qui avançait péniblement sur son fil. Je perdais l'équilibre, mais je ne tombais pas. Chaque fois, j'arrivais à progresser, mais je savais que la chute me guettait.

Je lui en voulais de ne pas venir me retrouver sous les arbres comme nous en avions l'habitude. Je ne comprenais pas ce qui venait de changer. Pourquoi ne venait-elle pas comme avant ?

Elle devait venir.

Elle devait absolument venir.

Brusquement, je me mis à crier. Sans me préoccuper des voisins, je criai très fort puis je finis par hurler son nom de toutes mes forces :

-Auréaaaaaa.

Son prénom était rassurant. C'était comme une bouée de sauvetage pour mon âme perdue dans les flots de la vie. Mais allait-elle me répondre ou allait-elle me laisser me noyer ?

Après vingt minutes de torture, elle finit par sortir de chez elle. Elle était mal à l'aise face à mon attitude. Auréa s'approcha de moi en silence. Son visage était pâle et crispé. Ses cheveux étaient ramenés en un chignon négligé sur le sommet de sa tête. 

Elle était belle et pourtant, elle ignorait sa beauté. D'habitude, sa chevelure était toujours lâchée, car elle aimait cacher son visage derrière plusieurs mèches rebelles, comme pour se protéger du regard des autres. Ici, ses grands yeux bruns m'ensorcelèrent.

Je ressentis son stress, peut-être même de la fébrilité. Je n'aimai pas le coup d'œil qu'elle me jeta. Cela confirmait que je n'étais pas son meilleur ami. Je ne l'avais peut-être même jamais été.

Mais qui étais-je alors pour elle ?

-Qu'est-ce qui te prends de crier comme ça ? demanda Auréa sur un ton sec. Elle ne me parlait jamais aussi froidement, cela me blessa.

-Où étais-tu ? demandais-je agressivement sans même répondre à sa question.

-Chez moi.

-Ça, je pouvais le deviner tout seul.

-Je faisais mes devoirs, Aaron, comme tous les ados du quartier.

-Je t'attends depuis une éternité. Pourquoi n'es-tu pas venue comme d'habitude ?

Elle hésita à me répondre.

J'étais énervé contre elle. Le fait qu'elle se méfiait de moi m'enragea davantage. Je ne souhaitais pas me disputer, mais en étais-je capable ? Auréa respirait lentement comme pour garder son calme. Mais sa respiration me rendait nerveux.

Elle finit par me répondre :

-Maman ne veut plus que je sorte le soir si tard. Je ne viendrai plus, Aaron.

Tout en me parlant, elle se tordait les doigts. Elle avait l'air triste tout à coup :

-Je suis désolée. Je risque de tomber malade si je reste dehors si tard. Il fait froid à cette heure-ci.

-Qu'est-ce qu'il peut t'arriver ? C'est ridicule. Tu as toujours une couverture avec toi.

-Aaron, je ne viendrai plus. Tu comprends ?

-Mais qu'est-ce que tu racontes ?

-Ce n'est pas une bonne idée de rester des heures dehors à parler tous les deux.

-Pas une bonne idée ? Mais de quoi tu parles ? Nous sommes amis, c'est normal de se parler.

-J'aimais beaucoup te parler, mais je te dis que je ne viendrai plus. Je suis désolée. On discutera à l'école, si tu veux ?

Je la fixai dépité, totalement anéanti par ce qu'elle venait de me révéler. Cela me révolta, car je sentis qu'Auréa ne changerait pas d'avis. Elle ne viendrait plus à nos rendez-vous sous les arbres.

C'était fini.

Elle s'éloignait déjà de moi alors que nous étions proches depuis si peu de temps.

À cet instant, je ne pus deviner que sa maman m'observait depuis leur déménagement dans le quartier. Elle n'avait pas apprécié mon engouement pour sa fille. Elle avait directement remarqué que j'étais toujours dans les parages, très attentionné pour sa fille, trop prevenant peut-être.

-Je suis infirmière Auréa. Je sais quand il y a quelque chose qui cloche chez quelqu'un, avait lancé Lana à sa fille avec autorité.

Sa réflexion pleine de préjugés avait blessé Auréa, mais elle était restée muette. Que rétorquer à ça ? Quelque chose avait changé chez moi, mais quoi? Elle n'y comprenait rien. Avait-elle été trop naïve ? Elle qui côtoyait si peu de monde et qui n'avait quasi jamais été dans un établissement scolaire, comment pouvait-elle savoir si j'avais un réel problème ?

La veille, Edwige était aussi venue voir Auréa dans sa chambre pour lui avouer qu'elle était heureuse qu'elle se fasse des copains. Elles avaient un peu parlé de moi et de Capucine. Ensuite, Edwige s'était assise tout près d'elle, le visage soucieux :

-Je sais que tu rêves d'avoir de vrais amis, que c'est très important pour toi.

-Mais ? Je sens qu'il y a un « mais », avait murmuré Auréa.

-Mais tu dois rester sur tes gardes.

-Pourquoi tu me dis ça ? Je suis toujours prudente.

-Tous les amis ne nous veulent pas du bien. Parfois, ils ne savent pas eux-mêmes que ce qu'ils font est anormal.

-Tu parles d'Aaron ?

-Tu sais bien que j'ai toujours été très seule dans ma vie. J'aurais tout donné pour avoir des amis.

-Oui, je le sais.

-Mais j'ai compris une chose primordiale.

-Laquelle ?

-Les amis, c'est bien, mais il ne faut pas accepter n'importe qui.

Auréa leva les yeux vers sa grand-mère de cœur et se demanda intérieurement :

Comment peux-tu être sûre qu'Aaron n'est pas quelqu'un de positif pour moi ?

Et si vous vous trompiez toutes les deux ?

Et si vous vous trompiez ?

Plus jamais seuls (TOME 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant