Thème 2 - Son altesse

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957 mots

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Quel est ce bruit qui soudain de mon sommeil me sort ? Voilà que paisiblement, je dormais, l'esprit au repos et le corps bien au chaud, lové dans cette boite, qui me sert de palace. Un vacarme assourdissant soudain me tire sans ménagement, loin de mes songes et de ma quiétude. Il va sans dire que cela ne me plaît guère et que je me dois de faire entendre mon mécontentement à ce malotru. D'un bond leste et rapide, me voici debout, droit et fier, je me dresse face à l'adversité. Le dos rond, le poil hérissé, j'émets ce son à nul autre pareil, signifiant sans conteste que je suis de sombre humeur et prêt à le faire entendre. Mon regard balaye la ruelle blafarde, à peine éclairée par les rayons matinaux du soleil levant. Je scrute chaque recoin avec attention, plissant les yeux pour mieux percevoir les détails, mais, pour autant, je ne vois pas âme qui vive. Quelle est cette diablerie ? D'où sortait ce tintamarre, si personne d'autre que moi n'est présent en ces lieux ? Je continue mon intimidation, doutant que mon œil encore endormi ne soit parfaitement fiable. Au bout de longues secondes, il me faut me rendre à l'évidence qu'en cet instant, je suis seul. Tout ce manège étant vain, il me semble plus sage de commencer dès lors mon rituel quotidien, plutôt que de tenter de retrouver un quelconque assoupissement. Mon royal corps ayant été mis à mal par ce brutal réveil, il me faut désormais en prendre soin. J'allonge mes pattes avant, les éloignant le plus possible, tandis que ma poitrine s'affaisse doucement, en direction du bitume humide. Ainsi, je m'étire et détends mes muscles encore alourdis par cette nuit avortée. Avec toute la grâce et l'élégance qui me caractérisent, je me redresse enfin et d'un pas léger me dirige vers mon déjeuner. Je hume l'air frais, à la recherche d'odeurs alléchantes. La brise légère porte à mes narines délicates un doux fumet que je reconnais entre mille. Tandis que mes babines salivent, je visualise ce qui bientôt s'étalera sous mon regard avide.

Comme à l'accoutumée, les Hommes s'affaireront à courir et à crier dans tous les sens, dans une farandole désordonnée et exaspérante. Mon Dieu que ces êtres sont vils et grossiers. Ainsi distraits, ils ne prêteront pas attention au félin voleur, qui dans l'ombre se tapit. Les yeux rivés sur ma proie, j'attendrai patiemment mon heure, immobile tel une statue sans vie. Cet étalage, regorgeant de poissons multicolores, fera crier famine à mon ventre vide depuis bien trop longtemps. Cependant, ma volonté d'acier m'aidera à garder patience et à éviter toute précipitation. Lorsque plus aucun de ces rustres, autour de l'objet de mon désir, ne rodera, alors, plus vif et rapide que l'éclair, je sauterai avec légèreté, pour me poser sans un bruit au milieu de ces mets délicats. Il me faudra être prompt, pour ne point me faire prendre, et dans ma gueule, armé de mes seules dents, m'emparer de mon butin.

Alors que je m'égare dans l'élaboration de mon plan, voici que j'arrive déjà devant l'immense hall. Sûr de moi et de ma réussite, je me faufile subrepticement entre les longues jambes gauches qui se hâtent, pour parvenir devant l'étal tant convoité. Un rapide mouvement circulaire de la tête me permet de m'assurer que le champ est libre. En position, je me place, queue en l'air et ventre à terre, mais voilà que sans crier gare, je reçois un coup dans mon royal derrière. Je me retourne, choqué par cet outrage. J'entends qu'on vocifère à mon égard. J'ouvre grand ma bouche, feulant tant que je peux. J'aimerais à cet instant que des tentacules en sortent et saisissent à la gorge ce goujat. Je sais que cela est possible, j'ai vu un de mes semblables, dans une boite à image des humains, parvenir à cet exploit. Si lui le peut, pourquoi moi, ne le pourrais-je ? Alors que je maintiens mon attitude belliqueuse, voilà que désormais, par la peau du cou, tel un chaton sans défense, on me soulève. L'être immonde et repoussant me tient devant son visage hilare, manifestement amusé par ma déconvenue. Repose-moi à terre, manant, avant que ma colère ne s'abatte sur toi ! Je lance mes griffes acérées en direction de ses yeux, je veux les atteindre et les perforer. Dans ma rage, je pousse de stridents cris, qui feraient se fendre le cristal le plus pur, mais rien n'y fait. Je suis impuissant, à la merci de ce monstre. Lorsqu'il semble s'être assez joué de moi, il me jette avec force hors de son magasin et j'atterris avec violence sur le pavé, manquant de me rompre les os.

Voilà qu'une fois de plus mon ego vient d'être mis à mal. Voilà qu'une fois de plus je ne pourrai manger à satiété. Que dis-je, voilà qu'une fois de plus je ne pourrai tout simplement pas me sustenter. Chaque jour passe et se ressemble inlassablement. Je me crois le roi du monde, le roi de ce monde, et je me persuade d'être grand et tout-puissant. Mais, soyons honnête, dans ce vaste royaume je ne suis rien, rien qu'un simple bouffon sans importance et dont le sort n'attire aucune compassion. Cette journée qui commence, je n'ai déjà plus la force et l'envie de la finir. Je vais retourner me coucher sur la paille, le cœur lourd et l'âme sombre. Je sais que les heures seront longues et qu'elles auront encore leur lot de privations. Pourtant, je me refuse à abandonner et à me résigner. Je veux que demain l'espoir renaisse, je veux qu'avec ce nouveau jour enfin, j'atteigne l'Everest, mon paradis : cet énorme maquereau, qui bientôt sera mien et que je dévorerai sans aucune vergogne.

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